II. Du thème à la structure

Comment rendre compte du passage du thème à la structure ? Comment le thème amoureux sous ses différents modes de traitement induit-il des organisations dramaturgiques différentes ? C’est une question qui mérite d’être posée et qui a déjà trouvé des réponses partielles.

1. la tentative de J. B. Ratermanis (1961)

J. B. Ratermanis, sous couleur d’un essai sur le comique dans le théâtre de Marivaux, propose en réalité un classement de cette œuvre qui, partant d’un traitement de la thématique amoureuse, en vient à dégager des règles de fonctionnement dramaturgique. Nous proposons de condenser les résultats de J. B. Ratermanis sous forme de tableau :

Cette typologie appelle quelques remarques.

  • Certaines pièces ne sont pas classées : La Provinciale, La Commère, La Femme fidèle. Les justifications manquent, mais ce sont sans doute celles que nous avons rencontrées ailleurs (il s’agit de pièces respectivement jugées apocryphe, manquante, parcellaire).
  • À propos des comédies satiriques, J. B. Ratermanis revient lui-même sur son assertion initiale. Il précise en effet p. 40 : “Toutes comportent des intrigues d’amour ne fût-ce qu’à titre d’élément secondaire, preuve indirecte que toutes les vanités sont apparentées”.
  • Il est frappant de constater à quel point ces catégorisations sont liées à des jugements de valeur sur l’œuvre. Ainsi, à propos des comédies satiriques, l’auteur affirme :
‘“La thèse y étant très apparente, la valeur artistique des pièces en souffre (…). Il est évident aussi que les subtilités affectives n’ont rien à faire ici ; aussi pouvons-nous passer assez rapidement” (p. 20) ;
“En somme les pièces satiriques, si faibles qu’elles soient, grâce à leurs défauts mêmes, sont plus visiblement comiques” (p. 40).’

Ou à propos des pièces comiques :

‘“Toutes les trois sont faibles au point de vue dramatique, mais non dépourvues de comique” (p. 41).’

La classification est donc nourrie d’un implicite qui entraîne une hiérarchisation entre les pièces qui traitent du thème amoureux et les autres.

Les quatre catégories qui se dégagent à la fin des pièces “dans lesquelles le sentiment est le sujet et la force dramatique de l’action” sont définies dans une tentative d’articulation entre thème et structure. L’auteur parvient aux conclusions suivantes :

topographie amoureuse  430 personnages structure actantielle
comédie d’aspect traditionnel amour avant le début 1 couple arbitre (père, mère, repré­sen­tant de l’autorité)
pièces à obstacle déplacé amour antérieur d’un des partenaires, l’autre devenant amoureux sur scène 1 couple opposant (rival ou repré­sen­tant de l’autorité)
pièces comportant deux couples équivalents amour avant le début chez l’un des couples 2 couples pas de parents
les surprises de l’amour amour réciproque naissant sur scène 1 couple parents adjuvants, jalousie mal fondée (faux rival)

Le titre choisi pour rendre compte de la structure ne prend pas forcément en compte de façon homogène les critères choisis.

Il est notable que l’appellation “comédies d’aspect traditionnel” paraît recouper sans préférence les trois critères de classification, alors que les trois autres désignations réfèrent principalement à l’un des critères retenus : l’“obstacle déplacé” est nettement orienté vers la structure actantielle, les “pièces comportant deux couples” sur le critère “personnages” et les “surprises de l’amour” sur ce que nous appellerons “topographie amoureuse” (et que J. B. Ratermanis rattache, sans le désigner techniquement, au lieu et au temps scéniques). Sont donc mis sur le même plan des éléments structuraux différents. On peut regretter que ce souci de classification mette sur le même plan des pièces au fonctionnement radicalement différent.

Néanmoins, la leçon qu’on peut tirer de cette entreprise est que le classement s’établit sur des bases relativement homogènes et qui tentent d’articuler thème et structure.

Notes
430.

Certains éléments liés à la topographie amoureuse sont formalisés par l’auteur au moyen de termes théâ­traux comme “avant le lever de rideau”, “sur scène”.