2. les forces en jeu par rapport à la spatialisation du parcours amoureux

a. dynamique externe au parcours amoureux

Le parcours amoureux est bloqué de façon précoce et définitive. Il n’est donc pas en lui-même un facteur dynamique de mouvement. Le mouvement lui est extérieur, dans une sphère thématique et dramaturgique autre. Un excellent exemple de ce phénomène est donné par La Colonie.

Dans La Colonie, un seul couple d’amoureux est constitué de Lina, la fille de Madame Sorbin, et de son timide amant, Persinet. Ce couple a beaucoup de mal à exprimer son amour face à la fureur féministe de Madame Sorbin  440 .

Malgré tout, et sans être l’enjeu principal du nœud dramatique, il effectue son petit parcours chronologique :

Dès la scène IV, il appert que le mariage est à peu près acquis, qu’il ne reste qu’à le finaliser. Persinet y affirme en effet à Madame Sorbin :

‘“Je viens à vous, vénérable et future belle-mère ; vous m’avez promis la charmante Lina ; et je suis bien impatient d’être son époux ; je l’aime tant que je ne saurais plus supporter l’amour sans le mariage”.’

La situation principale, c’est-à-dire la révolte des femmes, entraîne une remise en question de cette donnée initiale. La rupture est brutalement marquée dans la réponse de Madame Sorbin par l’emploi de la locution adverbiale ne… plus, qui sera reprise dans les scènes suivantes de manière récurrente :

‘“Madame Sorbin : ‑…c’est une fréquentation qui ne convient plus” (scène IV).
“Lina : ‑…Est-ce que vous ne voulez plus qu’il m’aime, ou qu’il m’épouse ?” (scène V).
“Arthénice : ‑Et le mariage, tel qu’il a été jusqu’ici, n’est plus aussi qu’une pure servitude que nous abolissons, ma belle enfant” (scène V).
“Lina : ‑Quel train! Quel désordre! Quand me mariera-t-on à cette heure ? Je n’en sais plus rien” (scène XI).’

La pièce est tout entière marquée par cette impossibilité de conclure un mariage qui avait été décidé avant cette révolution tout aristophanesque. Or, à la fin de la pièce, il y a un retournement puisque les femmes acceptent leur défaite. Pour autant, la question du mariage de Lina et Persinet est évacuée, et plus personne ne l’évoque. Le curseur reste bloqué au même palier.

Même si le parcours amoureux est lié à l’action, dans la mesure où c’est la révolte des femmes qui entraîne son interruption, c’est néanmoins cette révolte même qui crée la dyna­mique. Elle se développe sous diverses manifestations, jusqu’à l’ultimatum de la scène XIII qui sert de nœud à la pièce : une demande, celle de participer à l’élaboration des lois de la cité, assortie de la menace d’une rupture définitive. Le nouement n’est donc pas constitué en relation avec ce parcours amoureux qui a seulement valeur d’indice de l’avancée des revendi­cations féministes  441 .

Notes
440.

Cf. J. Terrasse (1986), p. 22 : “Madame Sorbin, encouragée par Arthénice, a éloigné Persinet (scène 4) et elle défend à sa fille d’adresser la parole à son amoureux”.

441.

Cf. G. S. Santangelo (1992).