b. pièces avec deux parcours parallèles

L’Île de la raison pourrait paraître avoir un lien structurel avec deux pièces courtes qui, chronologiquement, la précèdent immédiatement, L’Île des esclaves et L’Héritier de village : la pièce longue, elle aussi, présente des parcours amoureux à vocation essentiellement comique. Mais contrairement aux modèles offerts par les deux pièces en un acte, L’Île de la raison montre des parcours amoureux complets, qui vont de la surprise de l’amour à l’accom­plis­se­ment du processus.

Les parcours amoureux, qui signent l’alliance entre les nouveaux venus et les autochtones, servent de fil rouge à une structure rendue forcément un peu répétitive par les conversions successives. Les étapes se franchissent sans difficulté et ne constituent pas réellement un enjeu. On a l’impression qu’elles servent aussi à renforcer l’effet comique de la pièce, dans la mesure où elles jouent sur un fonctionnement inversé du monde : ce sont les femmes qui se déclarent et les hommes qui reçoivent l’hommage. La différence de taille entre les personnages est également exploitée pour faire naître le sourire :

‘“Parménès, se saisissant de la Comtesse : ‑Mon père, je me charge de cette petite femelle-ci, car je la crois belle.”.
“Floris, prenant le Courtisan : ‑En voilà un que je serais bien aise d’avoir aussi : je crois que c’est un petit mâle” (I, 3).’

Marivaux joue donc avec les codes amoureux de son théâtre et il y a un effet plaisant de plus dans cette parodie de la déclaration marivaudienne par inversion des rôles.

Dans cette situation (du type du jour des fous), les codes sont exacerbés par défaut : les usages, les interdits, sont ainsi spécialement mis en lumière.

En ce qui concerne notre curseur, on s’aperçoit que les étapes sont franchies dans le bon ordre et qu’elles se déroulent naturellement, sans rupture spécifique. Chaque acte consacre assez peu d’espace à ces parcours amoureux. L’aventure sentimentale des jeunes gens reste secondaire par rapport à l’enjeu principal, l’accès à la raison.

Les parcours, identiques pour les deux couples, sont ainsi figurés :

Dans cette île, on passe directement de la rencontre à la déclaration. L’amour ne s’embarrasse pas de nombreuses tergiversations. Le mariage lui-même est naturel et n’a pas besoin de formalités :

‘“Blaise : ‑…Où est donc le notaire pour tous ces mariages, et pour écrire le contrat ?
Le Gouverneur : ‑Nous n’en avons point d’autre ici que la présence de ceux devant qui on se marie. Quand on a de la raison, toutes les conventions sont faites” (III, 9).’

Le parcours amoureux, même s’il reste en arrière-plan, structure les actes et se condense dans un petit nombre de scènes.

C’est aussi le cas dans les deux pièces en un acte comparables, mais c’est à un anti-parcours qu’il nous est donné d’assister ; le rire y est donc plus grinçant.