Le procédé corollaire existe aussi : un personnage quitte la scène (aux deux sens du terme) sans pour autant l’interrompre. Diverses situations suscitent cet état de fait.
Dans la scène XI de La Joie imprévue, Constance est chassée par sa mère :
‘“Madame Dorville : ‑ (…) Retirez-vous donc.Plus souvent, le personnage quitte la scène de son plein gré, opérant une véritable rupture communicationnelle. Plusieurs exemples peuvent illustrer cette situation.
Par exemple, à la scène XIV de La Méprise, Ergaste intime à Arlequin l’ordre de porter une lettre. Celui-ci donne une réplique, accompagnée de la didascalie suivante : “Arlequin s’en va”. À la scène XXV de La Commère, Madame Alain prend brutalement congé de ses interlocuteurs, à savoir sa fille Agathe et Monsieur Thibaut :
‘“Madame Alain : ‑Vous me faites grand plaisir. Je vous laisse pour un instant. Ma fille, faites compagnie à Monsieur ; je reviens.Le phénomène du départ anticipé s’accélère dans les dernières scènes des pièces de notre corpus. De multiples exemples de sorties du plateau non accompagnées d’un changement de scène sont repérables dans les pièces courtes à partir de L’Héritier de village. Voici les exemples, tous tirés des scènes dernières :
‘“Madame Damis : ‑ (…) retirons-nous, car il se fait tard” (L’Héritier de village) ;Le départ ou la fuite du personnage apporte à la scène rythme et sens et est intégré au mouvement de l’espace textuel.
La particularité de ce traitement nous invite à faire l’hypothèse que, pour Marivaux, la scène est une unité de rythme et de sens dans laquelle il fait éventuellement abstraction des conventions régulières de division. Cela explique une spécificité qu’on remarque dans Les Acteurs de bonne foi : aux scènes II, III, IV et V interviennent les mêmes personnages, ni plus ni moins (soit, en théorie, une seule scène). Mais les didascalies inaugurales, qui donnent la liste des personnages, sont présentées avec des nuances remarquables dans F. Deloffre et F. Rubellin (1992) :
Or Colette parle dans la scène III. Dans la scène IV, elle s’exprime, de même que Blaise. Dans la scène V, les deux femmes commentent les actions des deux hommes. Il n’y a donc pas, a priori, de raison conventionnelle de séparer tout ce bloc en quatre unités. La raison pour laquelle Marivaux a fait cette distinction est fonctionnelle et dramaturgique. La séparation en quatre scènes met en valeur les différentes situations en relation avec le spectacle joué : la scène II est la préparation des acteurs ; la scène III est la scène jouée par Merlin et Lisette ; la scène IV, celle jouée par Merlin et Colette ; la scène V, entre Merlin et Blaise. C’est donc la pièce de Merlin qui est ainsi divisée régulièrement, en fonction des entrées et des sorties, non celle de Marivaux. Ici, la convention est remotivée par le sens.
Les notes 2, 5 et 11, ad loc., rendent compte des variantes de présentation.