b. la scène absente

(i). l’absence du duo amoureux

L’importance dans le théâtre marivaudien du duo, et spécialement du duo amoureux, est telle que son absence ne peut qu’alerter sur le sens de la pièce, surtout lorsque celle-ci est fondée sur le thème amoureux.

Ainsi, dans Le Triomphe de Plutus, les scènes de groupe sont largement plus nombreuses que les monologues (dont la scène I représente l’unique occurrence) ou que les dilogues (scènes II, IV, XIV et XVI). On trouve, en revanche, cinq trios, trois quatuors, une scène à cinq, une scène à six. Les duos rassemblent Plutus et Apollon, puis Spinette et Plutus au début de la pièce, Apollon et Armidas, puis Apollon et Arlequin à la fin. On note l’absence caractéristique de la scène attendue entre Apollon et Aminte, laquelle n’est mise en présence du dieu que dans des scènes de groupe : X, XI, XII, XIII, XVIIII. Le manque de duo amoureux est révélateur de la place et du statut de l’amour dans cette pièce : exclusivement public, il manque de l’indispensable dimension privée.

La même situation, mutatis mutandis, se retrouve dans Les Acteurs de bonne foi. La pièce met en place essentiellement des scènes de groupe. Il n’y a aucun monologue et seulement deux dilogues et un trilogue. Toutes les autres scènes se font à quatre, cinq ou plus de cinq personnages. Les scènes de repli ou d’intimité y sont tout à fait marginales. Compte tenu du fait qu’il s’agit de l’histoire du mariage d’Éraste et d’Angélique, il est surprenant de ne pas trouver un seul duo entre les deux amoureux. C’est donc que l’enjeu de la pièce réside dans la dimension publique et sociale de ces noces, plutôt que dans les rapports privés entre le jeune homme et la jeune fille. La scène absente, ici, n’est pas le symptôme d’un désamour, mais d’une histoire dont les phases d’intimité se sont déroulées antérieurement et dont on n’attend plus que la réalisation.