1. les séquences encadrantes

On appellera pièces par structure en cadre  504 celles dans lesquelles il est possible de repérer une distinction entre une pièce centrale, ou pièce interne, et une pièce cadre, composée de quelques scènes qui commencent et achèvent l’œuvre et la structurent selon des enjeux, des personnages ou des niveaux de théâtralité différents  505 .

La nature du cadre diffère selon que les personnages de la pièce-cadre participent ou non à la pièce interne. S’ils n’y participent pas, c’est une pièce à structure par cadre étanche ; s’ils y participent, c’est une pièce à structure par cadre semi-poreux ou poreux.

Notes
504.

Nous nous trouvons en l’occurrence croiser la terminologie de G. Forestier (1996 b), qui utilise les termes “pièce-cadre” et “pièce intérieure”, mais dans une autre perspective que la nôtre. Il s’agit en effet, pour G. Forestier, de traduire “l’enchâssement d’un spectacle dans un autre” (p. 106). Nous tentons plus généralement de rendre compte d’une répartition de scènes qui repose sur une différence de fonctionnement et de présence de personnages.

505.

Dans L’Île de la raison, pièce en trois actes, il y a un modèle de pièce-cadre incomplète, puisqu’il n’est pas clôturé. Il y obéit à une autre logique. Il a vocation à préparer, à éclairer la pièce à venir. Le cadre a cette fois un nom : il est “Prologue”, et vise à expliciter l’origine de la pièce et à régler la question de l’inter­textualité, notamment avec Gulliver (cf. Prologue, scène 1 : “Le Marquis, avec précipitation : ‑Quoi! sérieuse­ment, tu crois qu’il n’est pas question de Gulliver ? // Le Chevalier : ‑Eh! que nous importe ? // Le Marquis : ‑Ce qu’il m’importe ? C’est que, s’il ne s’en agissait pas, je m’en irais tout à l’heure. // Le Chevalier, riant : ‑Écoute. Il est très douteux qu’il s’en agisse”). Il s’agit aussi de rendre compte de la convention théâtrale : comment faire accepter au spectateur que les petits hommes grandissent sans que les comédiens changent de taille réellement (cf. Prologue, scène 3 : “‑L’acteur : Et ici on suppose, pour quelque temps seulement, qu’il y a des hommes plus petits que d’autres (…) ‑Le Marquis : (…) Pour moi, je verrai vos hommes tout aussi petits qu’il vous plaira”. Cette préoccupation est d’ailleurs rappelée par Marivaux lui-même dans sa préface : “Ces Petits Hommes, qui devenaient fictivement grands, n’ont point pris. Les yeux ne se sont point plu à cela…”). Ce cadre initial n’est qu’un préambule qui offre aux spectateurs ou aux lecteurs leurs doubles scéniques, pour les préparer à ce qu’ils vont voir. Il n’y a donc pas un rattachement direct à la fable mais une forme de mise en abyme qui met sur scène des personnages de spectateurs qui, comme les spectateurs qui sont dans la salle, se préparent à assister à une pièce. Le prologue est donc à la fois en dedans et en dehors de la pièce : il y est inclus puisqu’il fait partie de l’espace textuel global ; en même temps, il en est exclu puisqu’il constitue une entité à part. C’est d’ailleurs ce dont témoignent la liste des personnages, l’indication du lieu et la structure même du Prologue, présenté comme autonome : les Acteurs du Prologue sont spécifiques (le Marquis, le Chevalier, la Comtesse, le Conseiller, un acteur), le lieu scénique aussi (“la scène est dans les foyers de la Comédie-Française”), la forme également (le Prologue compte trois scènes qui en font un mini-acte, voire une mini-pièce). Un prologue de trois scènes pour une pièce en trois actes ; ce parallélisme n’est sûrement pas un hasard. En outre, la scène III du prologue fonctionne comme une scène de fin : elle regroupe tous les acteurs, le Marquis utilise l’impératif “Allons” qui est souvent un signe de fin dans les dernières scènes. Alors seulement commence l’autre pièce, avec sa liste spécifique d’“acteurs de la comédie”.