b. pièces à structure par cadre semi-poreux

Il s’agit des pièces dans lesquelles on retrouve un personnage signe de la pièce-cadre qui, comme le Prince et Hermiane de La Dispute, n’intervient en aucun cas dans la pièce interne ; à cet égard, on est dans la situation d’une pièce à cadre strict. Mais, en outre, on trouve des personnages signes qui passent du cadre à la pièce interne en jouant dans les deux cas un rôle important  514 , plus important en tout cas que Carise et Mesrou qui, dans La Dispute, ne sont que des silhouettes de la pièce-cadre. Deux pièces du corpus répondent à ce modèle : Le Père prudent et équitable et Félicie.

Le Père prudent et équitable se compose d’une pièce centrale et d’une pièce-cadre. Cette dernière comprend les quatre premières scènes, la fin de la scène XXIV et la scène XXV. Le passage de la pièce-cadre à la pièce centrale est, comme dans La Dispute, signalé par le déplacement d’un personnage, en l’occurrence Cléandre. En effet, la scène IV s’achève par un conseil de Crispin à Cléandre : “Allez chez vous m’attendre”, alors que la pièce centrale se termine par le retour du jeune homme  515 . Contrairement à ce qui se passe dans La Dispute, Cléandre n’est pas spectateur de la pièce centrale, il n’est même pas présent ni présent-absent comme Hermiane et le Prince. En fait, il agit hors scène, au contraire des personnages de La Dispute qui sont présents sans être actifs. Cette différence s’explique par le sens particulier de la première œuvre dramatique de Marivaux, où il s’agit de mettre en tension deux dramaturgies possibles : l’une qui octroie la première place aux valets, à la ruse, aux rebondissements ; l’autre, inscrite dans la pièce-cadre, qui redonne la parole aux jeunes maîtres, le système marivaudien privilégiant les maîtres en tant qu’acteurs dynamiques, même si les valets-adjuvants sont parfois très présents  516 . La pièce centrale est ici en tension avec la pièce-cadre. Contrairement à ce qui se produit dans La Dispute, le plus important se déroule dans le hors-scène.

Comme pour La Dispute, la question du spectateur est posée mais de façon différente. Il ne s’agit pas ici de personnages inscrits dans deux situations différentes. Crispin et son maître sont à l’intérieur de la pièce-cadre au même niveau de réel, même si au début de la pièce Crispin est actif tandis que Cléandre, passif, subit la situation et assiste impuissant à ce qui se passe. À la fin c’est Crispin, menacé, humilié, qui est spectateur de son maître. Dans la pièce centrale, Crispin joue un rôle et il sait qu’il joue. On voit bien qu’à l’intérieur d’un même système apparent, Marivaux introduit des variations essentielles.

Le cadre impose donc des systèmes d’opposition, de tension, et renvoie à des probléma­tiques théâtrales fortes. En même temps, si l’on n’a pas l’impression de juxtaposition ou d’ensemble décousu, c’est parce que la pièce-cadre et la pièce centrale sont unies par des liens thématiques étroits et s’achèvent par le regroupement de leurs personnages respectifs. Crispin est présent dans la pièce-cadre et dans la pièce centrale, il est donc un fil rouge unificateur qui intervient du début à la fin, au même titre que les personnages liés à la maison de Démocrite. Personnage de l’extérieur comme Cléandre, il investit l’espace de l’intimité dès le début de la pièce-cadre et maintient cette position pendant toute la pièce centrale.

La structure globale du Père prudent et équitable est donc la suivante :

Félicie propose une partition assez comparable  517 . Le personnage signe de la pièce-cadre est la Fée, désignée aussi sous le nom d’Hortense. Elle est présente dans la scène I où elle dialogue avec Félicie. On la retrouve dans la dernière scène qui, malgré le regroupement qui s’y opère, ne laisse la parole qu’aux deux personnages du début. La Fée y adoube Modestie en substitut scénique, censée la remplacer auprès de Félicie. Nous nommerons cette scène particulière de transition entre la pièce-cadre et la pièce interne “scène jointure”.

On peut remarquer toutefois une différence de structure. La scène II sert de transition entre la pièce-cadre et la pièce interne.

Cette structure à cadre semi-poreux introduit un personnage-relais qui fait le lien entre les deux “pièces”. En même temps, il garde au personnage signe du cadre, dont le retour apparaît comme essentiel, toute son importance.

Notes
514.

Au contraire de Carise et de Mesrou qui n’étaient que des silhouettes de la pièce-cadre dans La Dispute.

515.

Cf. : “Crispin, s’en allant .

‑Je puis dire avoir vu le bâton de bien près.

Il dit le vers suivant à Cléandre qui entre.

Vous venez à propos : quoi! vous osez paraître!”.

Il est d’ailleurs intéressant de retrouver le verbe paraître, qu’on avait vu dans les mêmes circonstances dans La Dispute. C’est un verbe qui a une connotation théâtrale.

516.

Le cas le plus exemplaire de cette importance des valets serait Les Fausses Confidences, avec notamment le rôle de Dubois.

517.

Des points communs s’affirment aussi avec La Dispute. On peut ainsi retrouver le thème de la vue, qui s’exprime directement dans la dernière scène : “…je ne vous ai pas perdue de vue”. De même, la Fée, personnage signe du cadre, est d’un statut supérieur à celui des personnages de la pièce interne.