2. la structuration par le centre

Plusieurs pièces de notre corpus proposent ce que nous appelons une structuration par le centre. Un signe fort partage la pièce en deux grands blocs, comme s’il y avait un avant et un après. Ces signes forts sont l’apparition d’un nouveau personnage et la réapparition d’un personnage éclipsé.

a. l’apparition d’un nouveau personnage

Dans les pièces qui font apparaître un nouveau personnage, le lecteur-spectateur a le sentiment qu’une nouvelle pièce commence, avec de nouveaux enjeux. La partition oblige à considérer la frontière entre l’avant et l’après, comme si cette apparition était un axe de symétrie à partir duquel il est loisible de repérer une structure et ses variations. Les cas les plus représentatifs de cette modalité sont Les Acteurs de bonne foi et Le Dénouement imprévu.

Dans Les Acteurs de bonne foi, l’axe de symétrie est déterminé par l’arrivée, à la scène VIII, d’Araminte. La pièce se cartographie ainsi :

On voit ainsi un parallélisme entre la scène I et la scène VIII, les deux seuls duos de la pièce. Au dilogue masculin de la scène I répond le duo féminin de la scène VIII : sont confrontés l’espace masculin, générateur de la surprise théâtrale, et l’espace féminin, générateur de la surprise du théâtre de la vie.

Sous cette structure par le centre, se repèrent de troublants parallélismes :

La scène XII est l’addition des acteurs de la pièce 1 à ceux de la pièce 2. C’est une scène de réunion entre la première et la deuxième parties. Quant à la dernière scène, l’arrivée du Notaire en fait une entité à part.

L’arrivée d’Araminte produit la duplication du même, avec variations. Ainsi Merlin (res)surgit dans la scène XI, comme Araminte, son double du théâtre de la vie, apparaissait dans la scène VIII.

Dans Le Dénouement imprévu, la solution adoptée est plus radicale, puisque l’axe de symétrie non seulement signe l’arrivée d’un nouveau personnage, Crispin, double scénique d’Éraste, mais aussi la disparition de Dorante. Telle est la cartographie de la pièce :

Crispin, nouveau personnage, surgit vers le milieu de la pièce et annonce une nouvelle intrigue. De part et d’autre de cet axe de symétrie, les variations sur les duos sont signifiantes. Maître Pierre se retrouve à un moment donné en tête à tête avec tous les personnages masculins essentiels : avec le père (II) et les deux prétendants (I et X, respectivement). Mademoiselle Argante, quant à elle, dans la première partie, ne se trouve en duo qu’avec Lisette et son père, c’est-à-dire avec les personnages qui forment son univers familial. Elle n’a, en revanche, aucun duo avec Dorante. Par conséquent, le duo qu’elle a avec Éraste dans la deuxième partie de la pièce (scène XI) apparaît comme une rupture fondamentale de la symétrie. L’axe de symétrie permet donc de repérer une duplication structurelle avec au moins cette différence fondamentale qui est gage de succès pour le couple que la jeune fille forme avec Éraste.

L’émergence d’un personnage nouveau est donc le signe fort d’une rupture centrale. Le lecteur-spectateur a le sentiment que ce signe structurel sépare l’œuvre radicalement en deux parties.

Dans Félicie, l’axe de symétrie est fixé à la scène VII, qui voit apparaître des chasseurs, jusque-là absents et amenés à disparaître aussitôt après. À l’intérieur du cadre déterminé, un autre niveau de structuration se constitue ; autour de l’axe, on repère des parallélismes : la scène VI compte les mêmes personnages que la scène VIII, la scène III trouve son pendant dans la scène X, la scène IV dans la scène XI. L’ensemble, sans être un miroir parfait, aboutit néanmoins à une structure qui tient du spéculaire :

Entre la première et la deuxième parties s’instaurent des différences. Cependant, la principale variation porte sur la question des couples. Au couple “parental” mère-fille de la pièce-cadre, succède dans la première partie le couple féminin Modestie-Félicie, présent dans toutes les scènes, puis le couple “marital” Lucidor-Félicie, dans la deuxième partie. Ce dernier, présent aux scènes IX et XII, encadre et absorbe l’univers féminin. La scène centrale, par l’entrée des chasseurs, marque l’oblitération du monde féminin par le monde masculin. C’est donc bien une scène frontière dont il est possible de repérer la fonction et le sens. Scène de regroupement, elle préfigure l’autre scène de regroupement à l’extrême fin de la pièce.