b. le personnage-marqueur

Nous avons vu que le personnage pouvait se trouver démarcateur de séquence, surtout par son absence ou sa faible présence. Son apparition ou sa disparition subites sont des signes dramaturgiques nets pour délimiter un ensemble cohérent de scènes. Ainsi dans La Commère, l’arrivée du neveu (scène XVII) enclenche un groupe de trois scènes dont les extrémités forment un cadre : les scènes XVIII et XX, bâties sur le même modèle (le neveu, La Vallée, Madame Alain), encadrent la scène XIX. Ce groupe, formant séquence, va déclencher une onde de choc qui se poursuivra jusque sur les trois scènes de la séquence suivante  525 . Le personnage du neveu se trouve donc être générateur de dynamique.

Dans Le Père prudent et équitable, le phénomène est signifiant à deux niveaux. Tout d’abord, l’arrivée de chaque prétendant structure une séquence cohérente. C’est le cas avec le personnage du Financier, présent aux scènes XV-XVIII, dernier prétendant à se présenter : avant lui, Ariste, précédé de Maître Jacques, s’est montré aux scènes V et VI, le Chevalier à la scène X. Les soupirants, comme dans les contes de fée, se succèdent et rencontrent soit Démocrite, soit Crispin. L’avant-dernière séquence consiste en un retour progressif des personnages, dans un effet de crescendo :

Chaque prétendant est donc un marqueur de séquence. Parallèlement, la structuration se fait aussi dans le combat que mènent Crispin et Démocrite pour l’occupation du territoire. Cette double entrée donne l’ensemble suivant :

Les séquences 1 et 2 montrent la réception d’un prétendant, respectivement par Démocrite (séquence 2), le père de Philine, qui rencontre le Chevalier, et par Crispin (séquence 1), le rival actantiel de Démocrite, qui officie au mieux des intérêts de son jeune maître et de Philine. Le valet rencontre Ariste et se charge de le décourager. La séquence 3, centrale, montre la rivalité entre Démocrite et Crispin en dehors de toute présence extérieure. La séquence 4, en revanche, évoque cette même lutte à travers le personnage du Financier. Ce combat entre deux intérêts antagonistes, enjeu de la pièce, se manifeste dans des confrontations directes (XII et XXI), mais aussi dans des effets de parallélisme : la séquence 4 s’ouvre par une scène entre Crispin et le Financier et se ferme sur une scène entre Démocrite et le Financier.

Le double niveau de structuration donne bien sa place à des personnages-marqueurs de séquence.

Notes
525.

En ce sens, il pourrait s’agir d’un coup de théâtre. Nous ne pensons pas, comme J. Sgard (1992) que dans cette pièce “la progression est continue” (p. 61). Pour reprendre sa terminologie, ibid., il doit s’agir d’une “péripétie blanche”, qui produit “une sorte de variation de l’action, un effet spectaculaire mais provisoire” (p. 57), qui, en tant que telle, s’oppose à la “péripétie noire” qui, née de l’action elle-même, a une valeur proprement dramaturgique.