c. le personnage témoin d’intrigue

Dans les pièces fondées sur un entrelacs d’intrigues, le personnage devient le signe d’un des fils rouges qui tissent la trame. Sa présence caractérise concrètement la portion d’intrigue dont il est le signe manifeste. Ainsi, dans La Joie imprévue, le Chevalier, Monsieur Orgon, Madame Dorville et/ou Constance sont les éléments de l’une des trois intrigues qui font la dynamique de la pièce : l’intrigue du joueur, la pièce d’éducation, la pièce d’amour. L’œuvre se structure ainsi :

Dans la séquence 2 sont présentées les différentes intrigues : celle du jeu (II), que symbolise le Chevalier, celle de l’amour, que symbolisent Pasquin et Lisette  526 (IV et V), celle de l’éducation, avec Monsieur Orgon (VI), qui a entrepris de guérir son fils du démon du jeu. Tous les fils sont montrés d’emblée, avant d’être dévidés séparément et parallèlement  527 .

L’intrigue amoureuse est traitée à travers deux points de vue successifs : celui de l’extérieur, c’est-à-dire celui de Damon (séquence 3), celui de l’intérieur, c’est-à-dire celui de Madame Dorville (séquence 4). Le premier traitement s’appuie sur la dimension sociale et publique, alors que le second, dans l’intimité du gynécée, reste clairement confiné à l’univers féminin.

Les séquences 5 et 6 traitent chacune une des deux autres intrigues, l’éducation d’abord, le jeu ensuite, avant que l’ultime séquence les fasse se croiser deux à deux.

C’est la présence d’un personnage-marqueur qui signale le type d’intrigue en jeu et le changement de séquence.

Dans une pièce qui parle exclusivement d’amour, comme L’Épreuve, trois séductions sont à l’œuvre à travers trois personnages masculins différents, Lucidor, Maître Blaise et Frontin, et deux personnages féminins, Angélique et Lisette. Or, comme on voit de ce chiffre impair, il y a impossibilité de constituer des couples entiers : il faut donc, pour former deux couples, passer de cinq à quatre personnages et éliminer l’un des messieurs. La structure révèle l’ordre et la progression de chaque système de séduction :

La première séquence met en place les trois prétendants possibles, dont le principal est Lucidor, présent dans les deux scènes. Puis trois séquences successives offrent la part belle à un séducteur : la 2 montre les tentatives de Maître Blaise, la 3 est consacrée à Lucidor et la 4 à Frontin. Le nombre de scènes qui concernent chaque séduction est dégressif : quatre, trois puis deux scènes seulement dans la séquence 4.

Parallèlement, dans cette dernière séquence, Lisette est courtisée par Maître Blaise et Frontin. Plusieurs remarques s’imposent. Lucidor est à chaque fois présent en début de séquence, favorisant l’entreprise de son concurrent. Mais il est, en revanche, le seul à pouvoir exercer ses talents d’amoureux en tête à tête avec Angélique (VIII). Parallèlement, Maître Blaise s’entretient deux fois en duo avec Lisette (IV et XIII).

La séquence 5 donne leur dimension publique à toutes ces entreprises de séduction puisque Madame Argante est présente aux scènes XIV et XV avec toute son autorité de mère. La scène XVI met en vedette Frontin, la suivante Lucidor, la scène XVII Maître Blaise. De même, on retrouve des configurations déjà explorées : la scène XVI rappelle la scène X, la XVII renvoie à la VII, la XIX à la VII. En revanche, les scènes XVIII et XX instituent un quatuor inédit qui préfigure les deux niveaux de couples possibles. La séquence 6 se bâtit donc en abyme de ce qui précède en proposant aussi l’émergence de deux couples non concurrentiels.

Le personnage témoin d’intrigue est donc un facteur structurant fort qui témoigne de l’entrelacement et en même temps des progrès des intrigues menées.

Notes
526.

Pasquin et Lisette suivent leur propre parcours amoureux ; en outre, Lisette est ici la représentante de Constance, et symbolise donc, par procuration, le parcours amoureux principal Damon-Constance.

527.

M. Gilot (1996 a), pour traduire ce phénomène, utilse le terme évocateur de “comédies-minutes” (p. 35).