b. dans Les Sincères

La complexité des Sincères est tout à fait remarquable. Il s’agit en effet, dans cette pièce, de constituer progressivement le couple d’Ergaste et de la Marquise en laissant de côté deux amants abandonnés, Dorante et Araminte. La relation évolue jusqu’à la demande en mariage, avant de se rompre et de permettre la reconstitution des deux couples originels. Tout cela dans un espace de vingt-et-une scènes.

Il faut ajouter à cela l’élément qui donne son titre à la pièce. Ces personnages sont, ou se disent, sincères. Le thème de la sincérité va croiser le thème de l’amour et être en quelque sorte le moteur des rapprochements, des ruptures et des réconciliations. La fureur d’être sincères unit Ergaste et la Marquise, lorsqu’elle s’exerce sur autrui. Mais elle montre ses limites lorsqu’elle se heurte à l’amour-propre et que la question “M’aimez-vous ?” devient “Suis-je la plus belle ?”. Le stade du miroir (comme dans le cas de l’Églé de La Dispute) entre en conflit avec le stade de l’amour-propre qui fait que la beauté auto-proclamée doit être attestée par d’autres. Il en résulte que la question se détourne : comment, lorsque l’on se dit sincère, recevoir un discours amoureux qui rende compte de trois nécessités : respect du sentiment amoureux ; respect de l’amour-propre ; expression de la sincérité ?

Le nouement se révèle très complexe puisqu’il s’agit de développer un parcours amoureux jusqu’à son terme avant de l’annuler pour proposer un autre parcours qui est en fait la réactivation de celui qui existait avant la pièce. La substitution n’est pas due à un autre personnage, comme dans les cas précédents, mais à un personnage laissé pour compte. On y observe donc un effet de balancier :

Le nouement est en fait la reproduction de la même dynamique, l’une menant à un faux dénouement, l’autre au vrai dénouement. Il n’y a pas de nœud, mais un faux dénouement qui appelle une annulation.

Dans cette dramaturgie de substitution, il y a donc plusieurs pièces internes, mais le parcours présenté en premier est à chaque fois menacé. Une surprise de l’amour, nouvelle ou réitérée mais présente scéniquement, enclenche un parcours amoureux qui se révèle être le principal et annule par là même celui qu’on croyait tel.