CHAPITRE 1 : Fonctionnement de l’espace de fin dans les pièces qui se terminent par un mariage
ou les effets surprenants de la sympathie

Les pièces qui se terminent par un mariage s’apparentent a priori au modèle classique, canonique, de la comédie. Or ce qui relève d’une sorte de thématique de fin ou d’une étape du parcours amoureux ne nous dit rien du dénouement à l’œuvre : quel est le mouvement de bascule qui permettra d’achever la pièce sur un mariage, au moins en espérance ? Dans quel type de scène s’inscrit-il ?

Si nous nous appuyons sur les outils préalablement mis en place, nous pouvons dire que les pièces qui s’achèvent par un mariage vont jusqu’au bout du parcours amoureux. De ce fait, les personnages franchissent les ultimes étapes indispensables.

Chaque type de dramaturgie va induire forcément un type de dénouement en relation avec l’endroit où le curseur a été immobilisé.

Dans la dramaturgie de blocage, un palier s’est installé durablement ; à un moment, l’immobilisation cesse par le franchissement d’une étape décisive. La pièce se débloque dans ce mouvement ultime et libérateur. Parfois, un ou deux paliers du parcours restent encore à franchir, mais ils n’apparaissent que comme une conséquence naturelle et non problématique du bouleversement précédent. Ils constituent l’achèvement et sont strictement solidaires du dénouement.

À l’intérieur de la dramaturgie de blocage, deux modèles apparaissent en fonction du type de palier d’immobilisation.

Dans les pièces où le blocage intervient avant la déclaration, l’obstacle qui empêche la réalisation a été mis en place par l’un des deux amoureux, ou par les deux. L’enjeu va donc être de dire ce que l’on doit dire après un certain nombre de précautions et de vérifications préalables. Le dénouement est alors tout entier contenu dans la déclaration libératrice, suivie du projet de mariage et de sa présentation sociale et publique. C’est la déclaration même qui constitue le dénouement, les phases suivantes (projet et publicité du mariage) relevant de l’achèvement.

Les pièces à mariage fonctionnant selon une dramaturgie de blocage avant la déclaration sont L’Épreuve, Le Préjugé vaincu et Le Legs. Elles constituent le premier modèle dramatur­gique que nous étudierons.

Ailleurs, dans un groupe constitué de La Joie imprévue, L’École des mères, La Méprise, Les Acteurs de bonne foi, Le Père prudent et équitable, la déclaration s’est produite relativement tôt dans l’économie de la pièce. Le palier de blocage se situe après la déclaration et avant le mariage et le verrou a été placé par d’autres personnages que les principaux intéressés. Les amoureux ne sont pas, cette fois, acteurs mais victimes du piège, de l’obstacle réel ou imaginaire qui entrave leur route. L’enjeu n’est pas de dire l’amour mais de révéler le système qui empêche de passer du dire au faire, de la déclaration à la réalisation. Le dénouement concerne alors les modalités, les conditions qui permettent de donner à un projet conçu conjointement par deux personnages une dimension publique, reconnue et respectée. Il s’agit donc de faire sauter le verrou qui bloque la réalisation du projet et qui a rapport essen­tiel­le­ment avec l’obtention d’une autorisation parentale. La réalisation du dénouement met en jeu d’autres personnages et elle est liée à l’éclaircissement d’une situation, c’est-à-dire à l’accès pour tous les personnages au même niveau d’information. Il s’agit là du deuxième modèle dramaturgique des pièces à mariage.

La dramaturgie de substitution est intermédiaire entre les deux modèles précédents. Le couple présenté comme fondamental au début de la pièce, et destiné au mariage, n’est pas, en définitive, celui qui achève la pièce. La scène de dénouement rassemble alors révélation et déclaration et se trouve précédée ou suivie de l’effacement du couple originel.

Dans ce corpus, se trouvent Les Sincères et Le Dénouement imprévu. La Femme fidèle égale­ment, bien qu’elle ne s’achève pas par un mariage pour les raisons susdites, participe subtilement de ce modèle.

On développera dans la suite de ce chapitre une étude précise des scènes de dénouement en s’attachant précisément à la contextualisation de ces scènes (rattachement aux scènes précé­dentes, enjeu, etc.) et à leur fonctionnement interne. On tentera aussi de repérer le moment exact de la bascule que constitue le dénouement.