I. Les pièces à blocage avant la déclaration : dénouer c’est dire ou les dénouements par déclaration (Type I : Le Legs, L’Épreuve, Le Préjugé vaincu)

Ce type de dénouement par déclaration est celui qui, en général, a attiré l’attention des critiques et qui est présenté comme le plus caractéristique de la dramaturgie marivaudienne  552 .

On le rattache à deux problématiques essentielles, celle du personnage et celle du langage.

Pour le personnage, le dénouement serait la fin de l’évolution qui amène de la surprise de l’amour à l’aveu fait à soi-même, avant l’aveu à l’autre et l’aveu aux autres. C’est ainsi que J. Scherer décrit ce cheminement :

‘“Échappant au déroulement des mots et devenu enfin transparent pour lui-même, le personnage confesse la vérité”  553 .’

Ce mode de centrage de l’action sur l’évolution du personnage sécrète le risque du psychologisme.

L’autre versant, plus technique, vise à étudier le rapport entre parole et silence. Le même J. Scherer ne néglige pas cet angle d’attaque :

‘“Pour dénouer, il faut échapper aux mots dont le réseau a enfermé et guidé toute l’action et accéder à une réalité nouvelle. Il faut resserrer les développements infinis du discours, abréger et retrouver, dans une situation fondamentalement nouvelle, le silence primitif”  554 .’

Et il conclut plus loin sur cette belle formule :

‘“L’aveu éclate, explosion provoquée par le langage et qui détruit le langage. Dans l’abréviation, qui est à la fois faillite et apothéose de l’univers verbal, le dénouement est très exactement atteint au moment où il n’est plus nécessaire de parler”  555 .’

Pour J. Scherer, donc, le silence est la conclusion du dénouement, une fois libéré l’aveu, lui-même enfermé dans le faux silence de l’abondance des paroles proférées.

A. Rykner formule une idée comparable :

‘“Une fois prononcé le mot tant attendu, la parole perd toute raison d’être. L’amour réalisé redonne au silence la place que l’amour naissant lui avait fait perdre”  556 .’

Cependant, quand A. Rykner tente d’articuler ce constat à une réflexion sur la structure, il pèche, comme J. Scherer, par excès de généralisation. En effet, il affirme de façon un peu péremptoire :

‘“La quasi-totalité des pièces de Marivaux se termine sur une affirmation franche et entière de ce type, qui valide définitivement les qualités de la parole et en fait le fondement de tout dénouement authentique. En même temps, cette coïncidence presque systématique entre l’aveu explicite d’un sentiment et le dénouement de la pièce souligne l’ambiguïté d’une parole qui, tout en restant le moyen nécessaire de l’action, apparaît également comme sa limite : une fois le sentiment mis en mots, l’œuvre ne peut que prendre fin”  557 .’

Or, à l’intérieur de notre corpus, seules trois pièces (et non “la quasi-totalité”) correspondent, selon nous, à ce modèle, qui concerne (une fois encore) plutôt les seules pièces longues.

Si l’on considère le fonctionnement de L’Épreuve, du Préjugé vaincu et du Legs, on constate en effet que la déclaration consacre le franchissement de l’étape déterminante du parcours amoureux en supprimant la situation de blocage qui empêchait le curseur de se déplacer.

Notes
552.

Cf. par exemple les remarques de F. Deloffre (1955), p. 208, à propos du Petit-Maître corrigé : “sa défaite est consommée à l’instant précis où il se décide à dire en bon français qu’il ‘l’aime’, qu’il ‘l’adore’ et que ‘(son) amour ne finira qu’avec (sa) vie’. Tant est grande, pour un personnage de Marivaux, ‘la conséquence d’un mot’”. De même, ibid., p. 213 : “À force d’équivoquer sur les paroles de la Comtesse, le Chevalier la pousse à la seule formule dénuée d’équivoque, ‘je vous aime’. Il en est de même dans les autres pièces. Elles n’existent que dans la mesure où subsiste une équivoque, et se terminent dès que celle-ci est levée”. On se gardera de généraliser aux “autres pièces” cette remarque, comme F. Deloffre, qui, du reste, ne cite comme exemples de pièces courtes répondant à ce procédé que L’Épreuve et Le Préjugé vaincu.

553.

J. Scherer (1964), p. 10.

554.

J. Scherer (1964), p. 10.

555.

Ibid.

556.

A. Rykner (1996), p. 169. Cf. en particulier le chapitre consacré à Marivaux, Ce qu’on appelle parler. Marivaux et l’Épreuve du silence, p. 153-171.

557.

A. Rykner (1996), p. 153. Autre généralisation abusive : “Ainsi peut s’expliquer le mouvement des comédies de Marivaux qui se résument presque toutes à la transition difficile et douloureuse entre un silence (faussement) protecteur et une parole (faussement) libératrice” (c’est moi qui souligne).