a. le positionnement des interlocuteurs

Ce positionnement est défini antérieurement à l’interaction. Il est en quelque sorte structurel pour les personnages dominants et à la fois structurel et conjoncturel pour les personnages dominés.

La Comtesse (Le Legs), Lucidor (L’Épreuve) et Angélique (Le Préjugé vaincu) sont, avant même le début de la scène, dans une situation de personnage dominant. Angélique tient cette supériorité de sa naissance qui, quoi qu’il advienne, place Dorante en situation inférieure. Lucidor jouit du même avantage social ; il dispose en outre d’un atout considérable : la maîtrise de l’information concernant tous les événements dont Angélique est une victime ignorante. La Comtesse a une supériorité de caractère qui est décrite par Hortense dès la scène I :

‘“La Comtesse est une femme brusque, qui aime à primer, à gouverner, à être la maîtresse”.’

Il est évident que toutes ces raisons font en elles-mêmes de leurs interlocuteurs des personnages dominés. Il faut en outre ajouter un élément conjoncturel : ils abordent tous trois la situation d’interlocution dans une position de fragilité. Il est frappant de constater que les trois scènes insistent sur ce point en commençant par un effet de gros plan sur le personnage dominé. Cela passe dans Le Legs et dans Le Préjugé vaincu par un aparté qui exprime à chaque fois un désarroi  563 . Le chagrin d’Angélique est décrit de l’extérieur par la première réplique de Lucidor (“Vous pleurez, Angélique ?”), question isolée qui reste sans réponse  564 .

Ce temps initial de la scène fonctionne comme une sorte de monologue qui servirait de coupure, d’intermédiaire entre la scène de dénouement et celle qui précède. Le personnage exprime dans ce sas d’entrée un sentiment (Angélique et Dorante) ou une hésitation (le Marquis). Or, ce sont bien là les caractéristiques du monologue  565 , mutatis mutandis. À au moins une réserve près, de taille : le personnage dominé qui “monologue” montre son désarroi au personnage dominant qui le regarde, figure scénique du spectateur de théâtre. Cette entrée spéciale dans l’interaction laisse une grande place au regard et au silence entre les interlocuteurs.

Notes
563.

“Je ne sais où je suis” (Dorante, Le Préjugé vaincu) ; “je ne sais pas si <la lettre> partira ; je ne suis pas d’accord avec moi-même” (le Marquis, Le Legs).

564.

La question de Lucidor, telle qu’elle est posée, appelle une réponse par oui ou par non. Or la réponse d’Angélique (“C’est que ma mère sera fâchée”) présuppose une question supplémentaire qui serait “pourquoi ?”. Cette entorse aux règles conversationnelles transforme la question en constatation et donne à la réplique de Lucidor le statut de didascalie interne. Elle implique aussi de façon implicite, l’introduction de silences dont on peut imaginer la présence à deux moments :

Début de la scène : Silence. Pleurs. Regards.

Lucidor : ‑Vous pleurez, Angélique ?

Silence. Regards. etc.

565.

Cf. P. Larthomas (1980), p. 374 : “Le monologue intervient le plus souvent à un moment essentiel de l’action, en souligne la gravité, attire l’attention sur le désarroi et la perplexité du héros”.