c. un dénouement surprise : La Commère

La scène finale de La Commère semble, dans un premier temps, s’ancrer sur les scènes précédentes. Agathe évoque un délai avant l’arrivée de Monsieur Lefort, ce qui constitue en quelque sorte la réponse à la lettre qu’avait écrite Madame Alain à la scène XXV. Rien ne semble bouleversé. Le dénouement attendu, le mariage, est donc en apparence simplement retardé, en suspens, et Agathe joue ici le rôle qu’elle a joué pendant toute la pièce : elle sert de relais entre l’intérieur et l’extérieur. Cependant, elle va être aussi l’instrument d’un coup de théâtre. La révélation sur le lien familial entre Javotte et La Vallée est surprenante pour tous les personnages présents et pour le lecteur-spectateur  667 . Elle repose sur la propagation de l’information donnée par le neveu à Madame Alain : la maison de la commère est une caisse de résonance par laquelle les confidences du trilogue deviennent domaine public en quelques minutes. En outre, elle amène par ricochets d’autres informations. De fait, la dénégation de La Vallée entraîne d’autres révélations, mais de statut différent de la toute première, car rien n’est dit que le lecteur-spectateur ne sache déjà. Elles n’opèrent qu’au niveau des personnages spectateurs. Le secret a suivi un long chemin :

Javotte, une fois encore, se trouve destinataire indirecte d’une révélation dont elle devient ensuite le médiateur. La parole de Javotte, une fois déclenchée, donne le sentiment de ne pouvoir se tarir. Elle révèle donc tout ce qui a été dit dans la scène XVI comme si elle y avait assisté en personne, et tout en assurant, comme les enfants, qu’elle ne va pas le dire. Cette parole, comme celle de la commère, agit comme un cataclysme et déclenche les effets suivants :

Les commentaires sur le circuit mettent en valeur la responsabilité de Madame Alain dans ces commérages et le désir de vengeance d’Agathe. Le circuit est clairement analysé comme une chaîne qui va, dans l’ordre, de Madame Alain à Agathe, d’Agathe à Javotte, de Javotte à Mademoiselle Habert, et Javotte y est une simple courroie de transmission. Alors que chaque locutrice a l’illusion que le secret qu’elle livre a pour terme l’interlocutrice choisie, la confidence finit dans l’escarcelle de Mademoiselle Habert, sur qui elle a un impact négatif définitif : Mademoiselle Habert rompt sa relation avec La Vallée et quitte la scène ; le mariage est de facto annulé.

Tous les ingrédients qui aboutissent traditionnellement au mariage de comédie échouent. Le départ précipité de Mademoiselle Habert et de La Vallée, ainsi que l’anti-déclaration d’amour de Mademoiselle Habert (“je te déteste”), conduisent à l’aporie. Nous assistons donc, en une réplique, à un dénouement par annulation :

‘“Mademoiselle Habert : ‑Messieurs, il n’y a plus de contrat (À La Vallée). Va, je ne veux te voir de ma vie”.’

La Vallée étant incapable de proposer une réparation, l’échec est définitif. Tout juste peut-il tenter une compensation verbale (“Ma mie, écoutez l’histoire! C’est un quiproquo qui vous brouille” (…) “je vous dis qu’il faut que nous raisonnions”), qui n’est manifestement qu’une manœuvre dilatoire sans efficace. La pièce structurée autour du parcours amoureux se termine sur une interruption.

Reste la phase d’achèvement. Celle-ci permet de faire un bilan sur le dévoilement des divers secrets : qui a colporté telle ou telle confidence ? C’est donc la gestion de la parole qui est au centre de cette scène, et on n’est pas étonné de constater la forte récurrence de ce champ lexical dans chaque réplique : “parlez”, “reproches”, “commère”, “muette”, “compliment”, “se taire”… Le titre, qui sert évidemment à caractériser Madame Alain, est comiquement appliqué par cette dernière à Monsieur Thibaut :

‘“Pardi, Monsieur Thibaut, vous êtes une franche commère…”.’

Ce déni venant de la principale source d’information de tout le voisinage crée un effet comique. Comme toutes les comédies de caractère, la pièce s’achève sur une absence d’évolution du personnage. La seule issue possible est alors la rupture : isolée dans son système, Madame Alain se retrouve seule contre tous.

Notes
667.

Le rapport tante / neveu, antérieurement exprimé, se trouve ici dupliqué D’où la remarque amusante de Javotte “C’est ce qu’on a su dans la maison par le neveu de ma nièce Mademoiselle Habert” : puisque Mademoiselle Habert s’apprête à épouser La Vallée, lequel se révèle neveu de Javotte, par transitivité matrimoniale, Mademoiselle Habert est ici, abusivement, transformée en nièce de Javotte. L’anonyme neveu de Mademoiselle Habert est donc bien le neveu de sa nièce!