2. le vrai dénouement

a. l’interruption

Le faux dénouement s’annonçait par une réalisation presque complète du projet fantôme. Or une brutale interruption va permettre de bloquer puis d’annuler le processus enclenché. Les personnages qui ont pour fonction de provoquer cette interruption n’avaient pas eu jusque là d’importance particulière. Dans L’Héritier de village, on attend le notaire et c’est le clerc qui survient. Ce personnage, en attente, fait figure de deus ex machina car il est porteur d’une information qui va déclencher le dénouage. À la fin de Félicie, alors que la Modestie et Diane sont appelées par la jeune fille, c’est un trio conduit par la Fée qui surgit. Or la Fée n’était plus sur scène depuis le début de la pièce et rien ne laissait présager sa venue. Son retour signe la fin. Dans La Provinciale, la situation est intermédiaire. Le retour de Monsieur Derval et de Monsieur Lormeau n’étonne pas spécialement, étant donné leur rôle préalable. En revanche, les deux dames sont une intrusion du monde extérieur. Personnages non préparés, non rattachés à l’intrigue, elles font irruption à la fin comme une énigme à éclaircir plus tard. À l’inverse, le personnage déclencheur de fin dans Le Triomphe de Plutus est Apollon, personnage qui a subi toutes les humiliations dans le faux dénouement  681 . Apollon interrompt la sortie de scène de tous les personnages, qui marquait la fausse fin. L’impératif “Arrêtez” a ici une valeur presque métathéâtrale : il faut, certes, prévenir la sortie de scène d’Armidas, mais aussi bloquer le faux dénouement. À partir de là, Apollon va être le personnage-pivot de l’ensemble de la macro-séquence de fin, en particulier de ce qui apparaît comme une séquence d’achèvement très développée. Il est présent dans chacune des scènes qui tracent un bilan de ses relations avec Armidas, Spinette et Arlequin. Or ces trois scènes marquent la rupture avec Apollon, déclenchant des adieux successifs, des fuites qui renversent le rapport scénique habituel. Ce qui est supposé être intéressant se déroule non pas sur le plateau mais hors scène. L’urgence de son accomplissement se traduit par la référence récurrente au temps (“nous aurons le temps de nous revoir”, “Hé! vous me faites perdre ici mon temps”) et au thème de l’attente (“on vous attend”, “attendez, attendez”). Richard, l’incarnation humaine de Plutus, est l’aimant qui attire chacun hors de la scène. Parallèlement, ce qui est renvoyé à Apollon, c’est le déni du passé  682 et la contestation de ce qu’il dit sur le présent  683 . Apollon est ainsi nettement en plein recul jusqu’à la scène XVII, qui aboutit à un constat d’échec :

‘“Il ne manquait plus que ce trait pour achever ma défaite ; et me voilà pleinement convaincu que l’or est l’unique divinité à qui les hommes sacrifient”.’

La première partie de la phrase est une attestation du faux dénouement de la pièce interne ; la deuxième partie, plus générale, est une conclusion qui renvoie au début de la scène II. C’est la réponse à la dispute initiale : si la défaite d’Apollon se situe au niveau de la fable, elle est plus largement symptomatique des défauts de l’humanité. La fin se fait leçon. Ce qui s’est passé dans la pièce est un exemple particulièrement édifiant d’une problématique plus générale. Partant, la pièce fonctionne mutatis mutandis comme une fable de La Fontaine, avec une partie narrative et une morale englobante. Il reste à annuler le faux dénouement de la partie centrale, celle qui concerne les amours entre Plutus et Aminte. Pour ce faire, c’est Apollon qui va faire le lien entre la pièce cadre et la pièce interne.

Dans les quatre pièces, le dénouement se situe dans la dernière scène grâce à l’arrivée de ces personnages déclencheurs. La scène ultime doit donc concilier les caractéristiques habituelles de la scène de fin et les contraintes liées au dénouement par annulation. Les pièces présentent des situations différentes. La plus radicale est à l’œuvre dans Félicie.

Notes
681.

Le sort d’Apollon pose problème : qui d’Apollon ou de Plutus est le personnage positif ? Dans le rapport à l’argent, Plutus est représentatif d’une qualité reconnue à l’époque, la générosité. Cf. J. Ehrard (1992) : “chez les possédants surtout, il y a un bon et un mauvais usage de l’argent (…). Le bon usage de l’argent, l’usage noble, ne consiste pas dans l’achat, mais dans le don” (p. 41). Si l’on considère qu’Apollon représente les valeurs liées à l’amour, on ne peut que le plaindre d’être renié par tous. Cf. H. Coulet (1996), p. 46.

682.

“Espérer! Et quand cela ? Je ne me souviens de rien” (Arlequin, scène XIV) ; “J’ai quelque souvenir éloigné d’avoir autrefois servi un certain Monsieur… aidez-moi, aidez-moi : Monsieur Orga, Orga, Er, Er, Ergaste, oui, Ergaste” (Arlequin, scène XVI).

683.

“Je ne vous entends point : où donc est ce champ de bataille ?” (Spinette, scène XV); “Et que voyez-vous donc de si rare ?” (Spinette, scène XV).