c. L’Héritier de village ou le coup de théâtre

L’arrivée de Monsieur Griffet amène le coup de théâtre. Comme Blaise est illettré, la révéla­tion se fait par locuteurs interposés. La lettre émane du procureur et a pour destinataire Blaise ; c’est Griffet qui fait office de messager. Or Blaise, en faisant passer la lettre au Chevalier, pour qu’il la lui lise, va provoquer une série de glissements. Le Chevalier devient le transmetteur de l’information, dont il n’est pas responsable  685  ; cette information est, du fait de la lecture à haute voix, élargie au cercle de tous les personnages présents sur scène, qui deviennent tous destinataires additionnels, en même temps que le lecteur-spectateur. La nouvelle de la fuite de Monsieur Rapin avec le montant du legs de Blaise annule tout le projet déclencheur de la pièce, et l’enjeu autour de la fortune de Blaise et de sa femme. Le dénouage vient non de la volonté des personnages, mais d’un événement extérieur  686 . Le Chevalier, déconfit, choisit de reprendre en se les appropriant les mots du procureur, redevenant ainsi locuteur de son propre discours et opérant un glissement entre le dénouage et le dénouement.

Pour ce faire, il superpose la situation de Monsieur Rapin et la sienne, grâce à un jeu sur le sujet du verbe :

“il passe en pays étranger” // “les articles de notre contrat sont passés en pays étranger”.

Le lien de cause à effet entre l’argent et le mariage est ainsi rendu explicite. Le dénouement par annulation se situe dans la formule “Adieu, Colette, je vous quitte avec douleur”, qui expédie dans le nul et non avenu le projet antérieur. À cette annulation, répond évidemment celle de l’autre noce prévue entre Madame Damis et Colin. La sortie de scène de la jeune femme s’accompagne d’une négation de l’interaction avec tous les personnages présents sur scène : Madame Damis ne s’adresse plus qu’au Chevalier, seul interlocuteur valable. Ces deux dénouements déceptifs sont commentés par les autres protagonistes, en particulier par Arlequin, qui révèle la réalité des projets amoureux  687 . La réplique de Colin :

‘“Pardi! c’est une accordée de pardue ; tu me quittes, je te quitte, et vive la joie! Dansons, papa”’

pourrait être une ultime réplique possible, rappelant le début de la scène et l’appel à la fête villageoise. Cependant, une phase d’achèvement se développe, laissant apparaître un bilan comptable : quels sont les gains et pertes de chacun ? Colette et Colin ont perdu une occasion de se marier ; le Chevalier et Madame Damis doivent renoncer à leur espoir de fortune ; Arlequin fait le compte de ce qui lui revient. Blaise perd un valet, un gendre et une bru potentiels en même temps que la somme d’argent promise par legs ; Claudine abandonne les illusions que cette somme d’argent avait suscitées chez elle à la scène I. L’annulation concerne donc l’élément déclencheur et les parcours fantômes qui en dépendaient. On retourne à l’exacte situation d’avant l’annonce du legs, mais empirée par les vains espoirs envolés  688 .

Notes
685.

D’où le jeu des didascalies de parole qui distinguent le Chevalier lecteur de la lettre et locuteur indirect du Chevalier locuteur direct de son propre discours.

686.

C’est le même procédé, mais inversé, dans Le Père prudent et équitable. L’annonce qui émane de l’extérieur vient changer la donne et influe sur le dénouement.

687.

Une métaphore filée de l’armée sert de lien entre les commentaires des personnages.

688.

On retrouve la situation typique, dans la comédie, du monde inversé puis redressé : cf. J. Emelina (1996 b), p. 176.