b. La Réunion des amours

Le discours de Minerve est supposé répondre à la question posée depuis le début : qui de Cupidon ou de l’Amour sera présent à l’assemblée des dieux ? Avant de se prononcer, Minerve affirme le caractère final de la scène en la rattachant aux scènes antérieures (scène XII, avec la Vertu, scène X du procès). On retrouve le même système de lien avec ce qui précède que dans les pièces à mariage. La conclusion qui naît de ces deux scènes, à savoir le verdict attendu, est défavorable à Cupidon :

‘“Minerve : ‑Cupidon, la Vertu décidait contre vous ; et moi-même j’allais être de son sentiment, si Jupiter n’avait pas jugé à propos de vous réunir, en vous corrigeant, pour former le cœur du Prince. Avec votre confrère, l’âme est trop tendre, il est vrai ; mais avec vous elle est trop libertine. Il fait souvent des cœurs ridicules ; vous n’en faites que de méprisables. Il égare l’esprit ; mais vous ruinez les mœurs. Il n’a que des défauts, vous n’avez que des vices. Unissez-vous tous deux : rendez-le plus vif et plus passionné ; et qu’il vous rende plus tendre et plus raisonnable : et vous serez sans reproche. Au reste, ce n’est pas un conseil que je vous donne ; c’est un ordre de Jupiter que je vous annonce”.’

En même temps, le fait même de rendre compte de ce verdict à l’imparfait, dans la partie initiale du discours, laisse immédiatement présager une autre issue. De fait, surgit au sens propre le deus ex machina suprême, Jupiter, qui balaie la décision conjointe de Minerve et de la Vertu.

La situation devient alors complexe. Minerve, qui était personnage dénoueur, avec délégation spéciale de Jupiter pour arbitrer le litige, est subitement désavouée par Jupiter et se fait, dès lors, le porte-parole d’un personnage dénoueur supérieur à elle, et le seul légitime, probablement, pour régler l’intérêt du Prince. L’autorité incontestable dont disposait jusqu’ici Minerve est brutalement transférée sur un personnage absent qui donne ses ordres par procuration. Le verdict tombe : “unissez-vous” ; et le statut de cet impératif est précisé : il ne s’agit pas d’un “conseil”, mais bien d’un “ordre”. La performativité directe (“j’annonce”) est seulement celle d’un porte-parole ; mais le verdict même se fait par performativité indirecte (“unissez-vous (…) c’est un ordre de Jupiter”).

C’est cette décision du roi des dieux qui constitue le dénouement. L’arbitraire régalien très net de ce verdict, qui s’appuie sur le désaveu préalable du juge mandaté, est tempéré par la leçon de droit qui le précède (les attendus) et la leçon de morale qui le suit. Ainsi, cette décision, plutôt cette absence de décision, ce choix d’un juste milieu, est justifié par le bon sens et la pratique même de la séduction.

Le choix du verbe “unissez-vous” n’est pas anodin. Tout en faisant une boucle avec le titre de la pièce, il rappelle aussi le vocabulaire du mariage qui marque les fins de comédie. La réplique finale, qui succède directement à la tirade de Minerve citée, file ce parallélisme décalé :

‘“Cupidon, embrassant l’Amour : ‑Allons, mon camarade, je le veux bien. Embrassons-nous. Je vous apprendrai à n’être plus si sot ; et vous m’apprendrez à être plus sage”.’

L’embrassade pléonastique, lue à la fois dans la didascalie et dans le texte, rappelle ces embrassades viriles, ou les embrassements entre parents et enfants, voire celui entre les époux de La Femme fidèle, dont les fins de pièces marivaudiennes ne sont pas ingrates. Le “je le veux bien” rappelle ces formules d’adhésion, comme par exemple celle de la Comtesse dans Le Legs. Par le vocabulaire et par la gestuelle, la micro-séquence de dénouement s’inscrit parodiquement dans ce système de fin “classique”, où des jeunes gens naturellement promis l’un à l’autre sont officiellement fiancés, voire mariés.

La pièce se finit donc sur un compromis, que le titre laissait deviner mais que l’enjeu initial du choix à opérer dans une alternative rendait assez improbable.