I. Constitution de la séquence de fin

1. séquence de fin et nombre de scènes : espace fonctionnel - espace textuel

a. dans les pièces à mariage

L’étude des pièces qui s’achèvent par un mariage a permis de mettre en évidence qu’il y avait une corrélation entre le type de structure et la dimension octroyée à l’espace de fin. Dans les pièces où le parcours amoureux principal s’interrompt avant la déclaration, l’espace de fin est constitué d’une scène de dénouement suivie d’une scène de conclusion. Cela tient au fait que les systèmes de blocage et de contre-blocage sont mis en place par les amoureux eux-mêmes et qu’ils contribuent à une intrigue unique. Jamais on n’a l’impression de quitter la pièce principale pour passer à autre chose. Il est, du coup, logique que la scène de dénouement consiste en une mise au point entre les amoureux, avant que les autres personnages en soient les spectateurs, devenant les témoins d’un couple constitué.

Parmi les pièces à substitution, Le Dénouement imprévu et La Femme fidèle ont, elles aussi, une scène d’intimité qui précède la scène de conclusion. L’enjeu principal n’y est pas, en effet, d’effacer préalablement la pièce n° 1, mais bien d’instituer comme principal le couple de la pièce n° 2. Il est notable que dès que cela est terminé, il n’y a plus de problème. La substitution s’effectue et la pièce n° 1 s’efface d’elle-même comme par magie. De ce fait, ces deux comédies sont tout à fait comparables à celles du type I qui sont tout entières résolues par la déclaration libératrice.

L’espace de fin est très réduit dans La Méprise et dans Les Acteurs de bonne foi : une seule scène suffit à condenser dénouement et conclusion. Cela tient sans doute au fait que les personnages de la pièce n° 1 et de la pièce n° 2 ne sont pas différents. L’espace de fin est logiquement un moment de concentration, puisque le dénouement concerne tous les personnages. En outre, il n’y a pas de nécessité à séparer formellement dénouement et conclusion, puisque ce sont les mêmes personnages qui se retrouvent acteurs et spectateurs.

Lorsque les personnages des pièces internes sont différents de ceux de la pièce-cadre, l’espace de fin s’étend considérablement. Cela permet alors d’attribuer une place spécifique à chaque intrigue interne, de régler le sort de chaque personnage de la pièce secondaire avant de dénouer et de conclure dans la dernière scène. C’est le fonctionnement repérable dans La Joie imprévue, L’École des mères, Le Père prudent et équitable. Ces pièces offrent un dénouement provisoire ou définitif à la pièce secondaire avant de sceller la pièce principale. L’espace de fin des trois pièces peut se schématiser ainsi :

L’espace de fin des Sincères est, lui aussi, extrêmement étendu, car il faut laisser le temps à la double inconstance de se réaliser. Il faut, en effet, que la Marquise et Dorante se déclarent et se demandent en mariage, qu’Araminte et Ergaste en fassent de même et que la rupture entre Ergaste et la Marquise soit définitivement consommée. On voit alors pourquoi six scènes sont nécessaires pour la réalisation de ces trois étapes.

La nature et la longueur de l’espace de fin sont donc liées à plusieurs facteurs détermi­nants. Elles dépendent du nombre de “pièces” constitutives de l’ensemble, et de leur nature : pièce d’amour, d’intrigue, etc., mais aussi de la chronologie ou de la hiérarchie entre les pièces. Si la deuxième pièce d’amour s’avère gagnante, la résolution est plus rapide que si c’est la première, car une étape devient superflue, celle de l’annulation de la pièce n° 1. Cela se schématise ainsi :

Lorsque la deuxième pièce est de nature radicalement différente, il faut la dénouer préalablement à la pièce principale. L’exemple le plus frappant de cette configuration est celui de La Joie imprévue dans laquelle les trois comédies (comédie d’intrigue, comédie sérieuse et comédie d’amour) nécessitent chacune un dénouement spécifique.

Les pièces qui ont mis en scène des personnages différents impliquent d’autres impératifs concernant l’espace de fin. Il faut préparer la jointure entre les deux pièces et le rassemblement progressif de tous les personnages. On y voit donc, en quelque sorte, des phases d’introduction qui fonctionnent comme autant d’étapes préliminaires. Il faut trois scènes pour que les trois prétendants soient réunis en même temps que Crispin et Démocrite, dans Le Père prudent et équitable. Les scènes XIV et XV de L’École des mères servent de sas à l’entrée successive des prétendants principaux de chacune des deux pièces, Monsieur Damis d’abord et Éraste ensuite. Il pourrait paraître brutal de faire se confronter les deux univers sans aucune préparation dans les pièces qui doivent se finir bien  706 .

Notes
706.

En revanche, la brutalité de la confrontation n’est pas gênante dans les pièces qui se terminent de façon pessimiste. C’est par exemple la modalité que Marivaux utilise dans La Provinciale.