b. le faux dénouement illogique

Le Legs présente un dénouement intermédiaire dans la scène XI. Un groupe de répliques institue le projet de mariage entre le Marquis et Hortense :

‘“Hortense : ‑Ma main est à vous si vous la demandez.
Le Marquis : ‑Vous me faites bien de la grâce, je la prends, Mademoiselle”.’

Après un groupe de scènes dans lesquelles les divers personnages (Lépine, la Comtesse) tentent d’annuler cette décision, le dénouement est rappelé sous une autre forme :

‘“Hortense : ‑Oui, finissons. Je vous épouserai, Monsieur ; il n’y a que cela à dire.
Le Marquis : ‑Eh bien ! et moi aussi, Madame, et moi aussi.
Hortense : ‑Épousez donc.
Le Marquis : ‑Oui, parbleu ! j’en aurai le plaisir” (sc. XVII).’

Ce faux dénouement ne résout en fait que le choix posé par le legs entre le don d’argent et le mariage. Il n’apporte pas de fin au parcours amoureux principal puisqu’il empêche au contraire sa réalisation.

C’est donc un dénouement déceptif pour les personnages et pour le lecteur-spectateur. Marivaux, cependant, prend garde de signifier clairement qu’il ne peut s’agir que d’un faux dénouement. Par rapport aux codes du mariage marivaudien, il est notable qu’il n’y a pas d’amour. Le Marquis évacue la question dans la scène XI :

‘“Hortense : ‑Est-ce votre cœur qui me choisit, Monsieur le Marquis ?
Le Marquis : ‑N’êtes-vous pas assez aimable pour cela ?
Hortense : ‑Et vous m’aimez ?
Le Marquis : ‑Qui est-ce qui vous dit le contraire ?”.’

Dans la scène de réédition de ce dénouement, le Marquis ajoute à son acceptation du mariage, “il faudra bien que l’amour vous vienne”, ce qui atteste évidemment son absence actuelle.

Un autre signe de rupture des codes amoureux réside dans le fait que c’est Hortense qui fait la proposition de mariage la première. Il ne s’agit pas d’une demande mais d’une injonction. Le Marquis n’a aucune initiative dans tout cela. Au contraire, il est passif, victime d’Hortense, mais aussi de son incapacité à renoncer à l’argent. Le faux dénouement ne répond donc pas aux codes amoureux habituels.

Cela est renforcé par des signes théâtraux, cette fois. La scène de dénouement doit être constituée ou suivie par une phase de conclusion. Or la scène XVI, au lieu d’un accord final en point d’orgue, propose une fin dans laquelle chaque personnage part de son côté  711 . L’aparté final du Chevalier, “À tout ce que je vois, mon espérance renaît un peu”, va dans le sens d’un apaisement de l’inquiétude éventuelle du lecteur-spectateur car il signifie que tout ce qui semblait achevé, décidé, ne l’est pas en réalité.

La présence de ce faux dénouement est néanmoins importante pour le dénouement final qui se devra de l’annuler. Le vrai dénouement n’est pas seulement la résolution du parcours amoureux principal. Il est aussi l’effacement de ce qui a été fixé préalablement comme une clôture.

Dans Le Legs, le manque de logique se détermine par rapport au code du dénouement en tant que scène obéissant à un certain nombre de critères formels. Parfois c’est une tension générique qui est à l’œuvre. Arlequin poli par l’amour menace de s’achever à la scène XVIII de façon tragique, puisque Silvia, trahissant sa promesse à la Fée, a révélé à Arlequin qu’elle lui mentait sous la menace. La logique laisse attendre leur punition. Le faux dénouement tragique est en quelque sorte suspendu à la réponse de l’adresse que Silvia fait à la Fée.

Notes
711.

Le Triomphe de Plutus est bâti sur une structure comparable : faux dénouement - rassemblement de tous les personnages - sortie de scène.