b. le dénouage des pièces qui ne s’achèvent pas par un mariage

Plusieurs pièces sont concernées par cette situation. Il s’agit par exemple des pièces qui semblent s’achever par la victoire du traître. La Provinciale ou Félicie s’apparentent à ce type. La première trouve un dénouage dans la révélation de la véritable identité du Chevalier ; pour la seconde, le dénouage réside dans l’appel au secours de Félicie qui est le signe visible d’un changement d’avis même si le dénouement ne peut être apporté que par la Fée, seule habilitée à faire disparaître le traître.

Le dénouage est dans tous les cas une annulation qui remet en cause a posteriori l’existence même de ce qui s’est passé précédemment. C’est le réveil du cauchemar dont nous avons déjà parlé. Il ne peut être considéré comme un dénouement car il laisse le personnage dans une position flottante, tel qu’il était au début de la pièce mais avec le poids du cauchemar en plus.

L’Île des esclaves et La Colonie donnent au dénouage une autre place qui a rapport avec la hiérarchie des personnages : le dénouage concerne les personnages manipulés et le dénoue­ment relève des personnages manipulateurs. Dans les deux cas, il faut que certains, Arlequin et Euphrosine d’une part, Madame Sorbin et Arthénice d’autre part, renoncent au pouvoir, pour que d’autres l’exercent pleinement. Le dénouage est donc dans les deux cas la condition préalable à l’acceptation d’une autorité supérieure. Il annule aussi ce qui a été une fête des fous. Cependant, contrairement au premier type répertorié, l’annulation ne relève pas du cauchemar mais plutôt d’un rêve dans lequel on a eu à portée de main, l’espace d’un moment, l’inac­cessible.

Le rapport entre dénouement et dénouage est très complexe dans Arlequin poli par l’amour car il est lié à un problème de point de vue. Selon que l’on se place du côté de la Fée ou de celui d’Arlequin, on n’est pas dans la même perception du fonctionnement des événements :

Point de vue de la Fée :
séparation des amants = dénouage : XVIII-XX
déclaration d’Arlequin = dénouement : XXI
Point de vue d’Arlequin :
séparation = dénouement par annulation : XVIII
intervention de Trivelin = suppression du dénouement par annulation : XXI
vol de la baguette = dénouage : XXI
départ = dénouement : XXII

La superposition des deux systèmes pendant un temps engendre un brouillage entre dénouages et dénouements  720 . Dans les pièces courtes de Marivaux, le dénouage a donc trois fonctions possibles : soit il annule l’obstacle qui empêchait le dénouement de se produire (type Le Père prudent et équitable), soit il supprime le projet enclencheur (La Provinciale), soit, enfin, il efface le faux dénouement qui s’était établi précocément (Les Sincères) ou tardivement (L’Épreuve).

Notes
720.

Le lecteur-spectateur est dans une autre configuration. Il y a, pour lui : un faux dénouement ; l’annulation de ce faux dénouement (= dénouage) ; un dénouement-leurre ; son annulation ; le dénouement.