2. une contrainte : le rassemblement des personnages

Une contrainte dramaturgique liée à la conclusion est le devoir de rassembler les personnages pour la scène dernière. Ce code, qui offre au spectateur une vue d’ensemble de tous les acteurs avant le silence final, est-il respecté par Marivaux ?

a. examen des pièces qui ont deux scènes distinctes pour la séquence de fin

Le Legs, Les Sincères, Le Préjugé vaincu et L’Épreuve respectent scrupuleusement cette contrainte. Il arrive que l’indication de début de scène insiste sur ce regroupement : ainsi la didascalie inaugurale de la scène dernière de L’Épreuve précise : “Tous les acteurs, qui arrivent avec Madame Argante”.

Quelques pièces, en revanche, sont plus elliptiques et nous laissent assez libres d’interprétation. Pour La Femme fidèle, la didascalie rajoutée par les éditeurs donne la liste suivante : “Le Marquis, la Marquise, Madame Argante, Dorante, Colas, Frontin, Lisette”. Pourquoi pas aussi Jeannot, l’amant de Lisette ? Bien sûr, dans cette pièce fragmentaire, ce personnage est quasi-muet. Mais la reconstitution du texte le suppose présent dans les scènes VIII, IX et XI. On l’attend donc assez naturellement également dans cette scène de reconnaissance finale, dans laquelle il est intéressé. Supposons donc qu’il s’y trouve lui aussi.

La dernière scène du Dénouement imprévu se caractérise, elle, par de nombreuses absences. Manquent en effet à l’appel Dorante, Crispin, valet d’Éraste, Lisette et le domestique de Monsieur Argante. Seuls sont indiqués présents en scène Monsieur Argante, Mademoiselle Argante, Éraste et Maître Pierre. Quatre en scène, quatre en coulisses, nous sommes loin du compte théorique. Bien sûr, l’absence du domestique n’est pas déterminante : simple utilité, son rôle unique consistait à annoncer l’arrivée de Crispin. Mais les autres absents ont un lien plus serré avec l’intrigue. Dorante, l’amoureux éconduit, appartient exclusivement à la première pièce et se trouve éliminé dès que commence la seconde. Mais on parle encore de lui dans la dernière scène, et sa présence physique n’aurait pas été inconvenante. Lisette était une adjuvante rattachée au premier schéma actantiel, avec lequel elle a été engloutie. Quant à Crispin, qui ne sert qu’à annoncer son maître, il se réduit à une utilité. Une piste possible, les amours entre Crispin et Lisette, n’est même pas esquissée. Pourtant Crispin avait recommandé son cœur à Monsieur Argante à la scène VIII, mais le caractère très ramassé de la deuxième partie de la pièce ne laisse pas de place à l’élaboration d’une intrigue secondaire. Se trouvent donc sur scène seulement les amoureux (inévitables) et les deux seuls personnages qui traversent les deux pièces, Monsieur Argante et Maître Pierre. Ceux qui sont irrémédiablement ancrés dans la première intrigue ne viennent pas rejoindre le groupe final. La contrainte du rassemblement, on le voit, est annulée par la structure de la pièce. Marivaux respecte en général assez scrupuleusement l’usage du rassemblement, sauf si ce respect entre en contradiction avec le sens ou la structure.