Une autre fonction de la scène ou de la séquence d’achèvement consiste à mettre tous les personnages au même degré d’information 750 . La pièce peut (et doit) s’achever au moment où tous les personnages ont entériné le dénouement mais ont également les outils pour reconstituer la fable complète.
Un cas fréquent est celui dans lequel une information est donnée à un parent absent lors d’un dénouement-déclaration dont il constate les effets ; un père ou une mère surprend le jeune homme agenouillé aux pieds de la jeune fille et sollicite quelques éclaircissements :
‘“Monsieur Argante : ‑Eh bien! ma fille, connais-tu Monsieur ?Les questions ont juste pour but de vérifier que tout est conforme à ce qu’il avait prévu. La soudaine docilité de sa fille tranche évidemment avec sa désobéissance de la scène VII.
De même, comme on l’a vu, Lucidor informe Madame Argante de sa décision d’épouser Angélique (L’Épreuve). L’Angélique du Préjugé vaincu donne à son père les raisons de l’agenouillement de Dorante. Après ces quelques mots, dans chacune de ces pièces, chacun est à égalité.
Cette quête de l’égalité informationnelle est dramatisée de belle manière dans La Femme fidèle. Le constat du dénouement est fait par Madame Argante, mais il s’accompagne d’une reconnaissance : son “Que vois-je ?” est à double niveau (cf. infra p. 573). L’information qu’elle reçoit, et que reçoit le malheureux Dorante également, a pour effet immédiat d’annuler ce qui pouvait passer pour le parcours principal.
Cette fonction informative peut s’exercer sous forme d’un bilan. L’exemple des Sincères est tout à fait éloquent. Grâce à de subtils effets de parallélisme, la Marquise et Ergaste, qui devaient se marier, s’informent mutuellement de leur projet de mariage. Les micro-séquences d’information se succèdent et se répondent :
‘“La Marquise : ‑Ergaste, ce que je vais vous dire vous surprendra peut-être ; c’est que je me marie, n’en serez-vous point fâché ? [1]
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Informations | ||||||||||||||||||||||||||||
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Informations parallèles et annonce du dénouement 1 |
Après cette phase d’informations réciproques, dont le parallélisme est net, se développe la phase de bilan censée répondre à la question : “qui aime qui ?” :
‘“Ergaste : ‑Oui, c’est Madame que j’aime, que j’aimais, et que j’ai toujours aimée, qui plus est.Ergaste constate la situation présente et la relie au passé. Ce faisant, il reprend le bilan que dressait Araminte à la fin de la scène XVIII, presque au mot près (notons le “qui plus est”) :
‘“Araminte : ‑ (…) je gage que vous m’aimiez, quand vous m’avez quittée ?Son énoncé de la séquence d’achèvement, par le présentatif “C’est Madame…”, ancre le discours dans la réalité. En même temps il porte un message implicite : “et non pas vous”.
Or c’est sur cet implicite que s’appuie la Marquise dans sa réponse : elle dit à la fois qui elle n’aime pas et qui elle aime. Ce bilan amoureux sert à justifier les erreurs passées, les faux projets de mariage antérieurs. Il permet d’articuler les trois chronologies (avant, maintenant, après) en rétablissant l’effet de parallélisme repéré dans la phase informative. Le bilan affectif justifie une certaine insistance qui est la conséquence de causes cachées : la réflexion du Marquis (“tout fluet que je suis”) et l’ancrage de la Marquise sur l’implicite d’Ergaste attestent sans doute que les blessures d’amour-propre ne sont pas cicatrisées et que le décompte final indique peut-être un déficit.
Cf. M. Deguy (1986) : “et le drame s’achève quand tous partagent le secret” (p. 58).