CHAPITRE 4 : Le texte après le texte ou le divertissement
ou la joie (im)prévue

Dans un grand nombre de ses pièces, Marivaux a utilisé des parties chantées, éventuellement dansées. Elles s’intègrent parfois dans le déroulement même de la pièce dont elles constituent un matériau essentiel. Ainsi dans Arlequin poli par l’amour  782 , Le Triomphe de Plutus  783 , Félicie  784 .

Parfois, la partie chantée, voire chorégraphiée, prend la forme compacte et ramassée du divertissement de clôture. Ce phénomène traverse le théâtre marivaudien ; de nombreux exemples en sont donnés par les pièces longues  785 .

Pour les pièces courtes, les exemples sont nombreux également, mais le corpus est lacunaire. Le divertissement peut être attesté par les témoignages contemporains mais il s’est perdu depuis, comme celui de La Joie imprévue, composé par F. Riccoboni et Deshaies (ou Des Hayes)  786 . Dans d’autres cas, on ne connaît que les couplets cités par Le Mercure ou par le Recueil des Divertissements du nouveau Théâtre italien de Mouret. Nous avons ainsi une portion de la partie chantée du Dénouement imprévu  787 et d’Arlequin poli par l’amour  788 . Parfois, les textes perdus réapparaissent : on a ainsi retrouvé le divertissement de L’Île des esclaves  789 .

L’hétérogénéité du corpus et son caractère lacunaire nous invitent à préférer un champ d’étude stable. Nous bornerons donc nos remarques aux divertissements que nous avons en intégralité dans les éditions constituant la vulgate, à savoir ceux du Triomphe de Plutus, de L’École des mères et de L’Épreuve. Le texte en est donné dans l’annexe 2, p. 653.

L’analyse en est proposée ci-après à travers trois questions : comment les vaudevilles se rattachent-ils à la fin de ces pièces ? Comment s’organisent-ils ? Quel sens apportent-ils à ces fins de pièces ?

Notes
782.
Dans la scène III est proposé un divertissement à Arlequin, comme annoncé à la fin de la scène précédente :

“La Fée : ‑En voilà donc assez ; nous allons tâcher de vous divertir.

Arlequin alors saute de joie du divertissement proposé et dit en riant : ‑Divertir! Divertir!”.

Comme le signale la note de B. Dort (1964), p. 59 : “Ici se plaçait le premier divertissement, composé sur une musique de Mouret. Il comprenait une entrée de bergers, un air chanté par une bergère… une danse de polichinelle, un second air de la bergère… et une danse de paysans”. B. Dort place ce divertissement au début de la scène III et l’intègre en note après l’introduction d’“Une troupe de chanteurs et de danseurs”. Quant aux parties chantées, elles s’intègrent à l’action, le chanteur et la chanteuse étant interpellés par Arlequin. On a aussi des références à la danse : cf. “Alors le Maître à danser apprend à Arlequin à faire la révérence. Arlequin égaie cette scène de tout ce que son génie peut lui fournir de propre au sujet”.

783.

Apollon se retire pour composer une musique qui est chantée lors de la scène XII et accompagnée d’un menuet dont les paroles sont données par F. Deloffre et F. Rubellin (1992), p. 1096, note 30, d’après le Recueil des Divertissements. S’ajoute à cela la danse des quatre porte-balles de la scène XIII, dont les paroles sont données par le Recueil des Divertissements du nouveau Théâtre italien de Mouret (cf. F. Deloffre et F. Rubellin, ibid., p. 1096, note 31). Il y a donc une joute musicale, parallèle au combat amoureux.

784.

Dans Félicie, pièce tardive, les parties chantées sont elles aussi intégrées à l’action : cf. B. Dort (1964), scène III, “Ici on entend une symphonie”, “La symphonie recommence” (ibid.), scène VII “Air. Il chante un menuet”, scène XII “Une symphonie douce commence ici”, scène XIII “la symphonie finit”.

785.

L’Amour et la vérité, La Double Inconstance, La Fausse Suivante, L’Île de la raison, la Nouvelle Colonie… Cf. par exemple, à propos de La Surprise de l’amour, B. Dort (1964), p. 104, note 2, citant le commentaire du Mercure : “Le divertissement de cette pièce est amené par Pierre, qui, prêt à épouser Jacqueline, avec qui il s’est rapatrié, fait venir les ménestriers du village. Il figure dans le Recueil des Divertissements du nouveau Théâtre italien. Il comprend une entrée de paysans, un menuet, l’air chanté par une paysanne, avec une reprise du menuet, une danse de paysans, et à nouveau l’air chanté par un paysan”. Dans La Double Inconstance, comme le signale B. Dort (1964), p. 115, note 9, l’Acte I “se terminait par un divertissement qu’ont négligé toutes les éditions”. Le traiteur chantait un air à la gloire de la gourmandise. C’était une invitation à venir goûter un festin.

À la fin de cette même pièce, figure un autre divertissement donné ibid. en note 20 avec ces précisions : “Le Mercure décrit ainsi le divertissement promis : il est ‘composé d’un air italien et de quelques danses, d’un pas de deux entre autres dansé par les demoiselles Flaminia et Silvia, qui a fait grand plaisir’. On peut en retrouver dans le Recueil des Divertissements du nouveau Théâtre italien la musique d’une Entrée de plaisirs, un chant : O vous que la nature / Orne de tant d’attraits, / Puissiez-vous à jamais (bis) / De tous les soins coquets / Ignorer l’imposture. // Si vous voulez qu’avec ardeur / Ce Prince toujours vous chérisse, / Gardez-lui pour tout artifice / L’innocence de votre cœur (bis), la musique d’un passe-pied, et un dernier chant : Achevons cette comédie / Par un trait de moralité. / Tout cœur de femme en cette vie / Est sujet à légèreté. // Mais s’il faut vous le dire en somme, / En revanche aussi tout cœur d’homme (bis) / Ne vaut pas mieux en vérité”. Même fonctionnement dans La Fausse Suivante : divertissement de fin d’acte (cf. I, 11), introduit par une réplique de Lélio (“Mais en revanche, voici une noce de village, dont tous les acteurs viennent pour vous divertir. (Au chevalier) Ton valet et le mien sont à la tête et mènent le branle”), en deux parties (le chanteur, un paysan, Mathurine ; branle). À la fin du texte, nouveau divertissement.

Si L’Île de la raison n’a plus de divertissement intermédiaire, il en reste un très long à la fin, composé d’une entrée, d’un menuet de deux strophes et d’un vaudeville de sept strophes.

La Nouvelle Colonie, pièce en trois actes, comprenait aussi un divertissement. Le Mercure de juin 1729, p. (1403), cité par B. Dort, précise que “le divertissement a été fort applaudi. Il a été mis en musique par M. Mouret”. D’après B. Dort, p. 262, note 2, “le texte de ce divertissement, que Marivaux composa sans doute en collaboration avec Panard, est emprunté au Recueil des Divertissements du nouveau Théâtre italien de Mouret”.

786.

B. Dort (1964) précise que “dans son compte-rendu du spectacle, le Mercure ne fait qu’en mentionner le titre, ajoutant qu’elle fut ‘suivie d’un très joli divertissement des sieurs Riccoboni et des Hayes‘”. Confirmation dans M. Arland (1950) : “elle était suivie d’un divertissement de Riccoboni”.

787.

Cf. F. Deloffre et F. Rubellin (1992). Cette édition reproduit le compte-rendu du Mercure qui cite quatre couplets. En outre, elle propose, p. 481, note 1, une distribution des répliques.

788.

Le divertissement de cette pièce est donné par la note 13 de B. Dort (1964), qui précise que “la pièce se terminait par un divertissement symétrique de celui qui ouvrait sa scène 3, également sur une musique de Mouret. Il comprend une entrée de bergers dansée sur un air de bourrée, une suite de lutins dansée, un chant de lutin :

Mère qui voyez votre fille

Et si brillante et si gentille,

Ne vous en applaudissez pas.

Le blondin qui lui rend visite

A fait éclore le mérite

Qui met le prix à ses appas.

Belles, Méprisez la constance

Qui ne vit que de l’abstinence

Du plaisir qu’on s’est épargné.

Quand l’amant heureux se dégage,

Le plaisir d’en faire un volage

Est toujours autant de gagné.

et finit par une danse de cotillons”. Or ce divertissement n’est pas mentionné dans la première édition de la Pléiade (M. Arland (1950)) ; il l’est en revanche dans la seconde (H. Coulet et M. Gilot (1993)), qui donne les mêmes indications que B. Dort, et par l’édition de F. Deloffre et F. Rubellin (1992), qui ne séparent pas les deux couplets, présentant le texte en un bloc compact.

789.

Il est ainsi évoqué de façon critique par Le Mercure : “La pièce finit sur une petite fête dont on aurait pu se passer ; elle est composée d’esclaves qui se réjouissent de ce qu’on a brisé leurs chaînes” (avril 1725, p. 784-787). Cité par F. Deloffre et F. Rubellin (1992), p. 515. Cf. aussi E. Mortgat (1990 et 1992).