2. Nombre de strophes

Les indications de H. Gidel (1986) fixent une sorte de modèle théorique de référence. En effet, comme il le rappelle p. 11-12 à propos du vaudeville chanté tel qu’il se fixe à la fin du XVIIe siècle :

‘“il est composé de couplets de 4, 5, 6 ou 8 vers (…) en nombre variable : souvent cinq ou six. Il comporte généralement un refrain placé soit à la fin du couplet, soit à la fois à l’intérieur de ce couplet et à sa fin (…). Ces refrains sont la plupart du temps composés suivant le principe de la répétition avec variation d’un ou plusieurs éléments. Les vers sont souvent de 6, 7, mais surtout 8 syllabes, rarement davantage, mais n’ont pas forcément une longueur identique à l’intérieur d’un même couplet (on trouve, par exemple, des combinaisons de 7-5-7-5, ou de 7-7-5-5, ou de 7-7-7-7-4-4, etc.). Cependant tous les couplets d’une même chanson ont une structure absolument semblable”.’

De fait, les vaudevilles du corpus retenu présentent une grande cohérence interne :

Le Triomphe de Plutus L’École des mères L’Épreuve
Structure strophique *Vaudeville :
6 strophes identiques de 15 vers de
10, 10, 4, 4, 4, 4, 8, 6, 10, 4, 4, 4, 4, 8, 6 syllabes
*Vaudeville :
7 strophes identiques de 8 vers de
8, 8, 3, 8, 8, 8, 3, 8 syllabes
*Vaudeville :
6 strophes identiques de 6 vers de
8, 8, 8, 8, 8, 6 syllabes

En outre, selon H. Gidel, chaque divertissement comporte un ou plusieurs vers refrains qui structure(nt) les strophes selon un système de répétition et de variation.

Il y a deux types de refrains dans le vaudeville du Triomphe de Plutus, l’un au vers 8, l’autre au vers 15, à chaque fois, donc, au centre de la strophe (“Le temps n’y peut rien faire”, sept fois sans variation) et à la toute fin (“Un jour en fait / Un jour finit l’affaire”). Il est notable que ces deux refrains riment ensemble et sont tous deux hexasyllabiques. La variation du dernier refrain (“Un jour en fait l’affaire” aux strophes 1, 4, 7 / “Un jour finit l’affaire” aux strophes 2, 3, 5, 6) montre un système d’alternance a-b-b-a-b-b-a qui permet de finir sur l’exact refrain du début, en bouclant la boucle. Le refrain, qui intervient à chaque demi-strophe, est un repère pour le public qui peut le chanter en même temps que les acteurs, ainsi que la reprise qui est faite des derniers vers de chaque strophe.

Dans le vaudeville de L’École des mères, il y a deux types de répétition-variation. Chaque strophe, d’une part, est conclue par le vers “Il faut l’envoyer à l’école” (où le référent l’, chaque fois différent, offre une commode indifférence au genre et renvoie ainsi aussi bien à la “Mère” de la première strophe qu’au “Blaise” de la cinquième strophe) ; d’autre part, avant ce refrain final, on trouve un trisyllabe exclamatif comportant un sème négatif, le plus souvent de l’ordre de l’insulte à l’adresse des types d’amoureux raillés dans les strophes du vaudeville, soit respectivement “Quel abus!” (caractérisant le comportement de la mère castratrice), “Le butor”, “Le grand sot”, “Le benêt”, “Le nigaud”, “L’imprudent”, “L’ignorant”. Ces termes appartiennent tous au même champ lexical et présentent des variantes de la même idée que l’on retrouverait développée avec des termes différents dans la troisième strophe du vaudeville du Triomphe de Plutus  803  ; ils forment tous, sur le plan syntaxique, des phrases nominales exclamatives de structure identique si fréquentes dans la raillerie  804 . Cette cohérence sémantique et syntaxique de l’avant-dernier vers, facilement repérée par le public, préfigure le vers-refrain qui, sitôt reconnu ce point commun, donc dès la troisième strophe, peut donc être chanté en chœur par les spectateurs.

Le divertissement de L’Épreuve donne lui aussi le statut de refrain au dernier vers de chaque strophe. Mais seul le dernier mot (Épreuve) y est commun ; les quatre premières syllabes varient à chaque fois : “À le mettre à l’épreuve”, “Je le mets à l’épreuve”, “Quelle charmante épreuve!”, “Je somme à toute épreuve”, “À la première épreuve”, “De les prendre à l’épreuve”. La construction de chaque vers et le vocabulaire employé sont le ferment de cette variation.

Refrains internes, refrains de fin de vers, répétitions scrupuleuses, variations infimes ou importantes, les collaborateurs de Marivaux utilisent toutes les possibilités qu’offre le vaudeville.

Notes
803.

“Fût-ce un palot, / Un idiot, / Un maître-sot, / Un ostrogot…”

804.

Cf. la classique Grammaire des insultes de N. Ruwet, Seuil.