IV. Conclusion

Le divertissement des pièces en un acte de Marivaux se place dans la continuité de la veine établie par Dancourt  833 . En effet, il achève la pièce sur une note comique, n’hésitant pas à présenter de courtes saynètes parfois immorales  834 .

La problématique centrale du divertissement se situe dans sa relation à la pièce. Celle-ci est d’ordre structurel et fonctionnel. Nous avons noté que le divertissement était annoncé dans la dernière réplique grâce à l’emploi d’un futur. Selon la lecture qu’on fait du futur grammatical entendu dans la fin de pièce, on peut représenter de deux façons le rapport pièce-divertisse­ment :

Selon l’hypothèse 1, la clôture se fait réellement après la scène finale. Dans l’hypothèse 2, elle se réalise seulement après le divertissement. L’emploi du futur renvoie donc à la frontière essentielle entre le “maintenant” et ce qui l’achèvera.

Le moment de la coupure définitive est alors un peu différé, de la pièce au divertissement. Cette question amène naturellement à des interrogations sur la réception de ces divertisse­ments. Le spectateur avait-il le sentiment que l’on entrait dans un autre spectacle ? Avait-il un sentiment d’unité ? Ces questions se rattachent à des codes de la représentation pour lesquels nous n’avons pas trouvé de réponse : les applaudissements et le baisser de rideau avaient-ils lieu avant ou après le divertissement ? Ce qui est en jeu, c’est une esthétique de la rupture ou de la continuité  835 .

Cela est compliqué par l’ambiguïté de la relation entre l’acteur et le personnage. Lorsqu’ils chantent les couplets du vaudeville, les acteurs sont-ils encore les personnages de la pièce achevée ? Sont-ils les représentants d’autres personnages d’un autre petit spectacle, bien qu’ils soient costumés comme ceux de la pièce ? Sont-ils redevenus eux-mêmes, des personnes qui font le métier d’acteurs, et qui chantent avec le public au mépris du quatrième mur qui n’a plus de raison d’être  836  ?

Le jeu entre ce qu’ils ont dit et ce qu’ils disent, entre leur silence passé et leur prise de parole présente, introduit des effets d’écho ou de contrepoint intéressants. Le fait, par exemple, qu’Angélique, qui se taisait dans la scène dernière de L’Épreuve, soit la dernière locutrice du vaudeville, redonne de la densité au personnage et permet, peut-être, d’interpréter son silence précédent comme de l’inquiétude sur l’avenir.

Au-delà de cette proximité entre les deux textes, quantifiable par les allusions à la fable ou aux tout derniers événements montrés, des écarts se produisent qui tendent à faire du divertissement un texte semi-autonome. Deux types d’écarts sont repérables : un changement de genre (la comédie se mue, l’espace d’une strophe, en pastorale par exemple), un abandon du genre théâtral (le vaudeville brise le quatrième mur et se met à parler du monde, de la société, etc.). Les thématiques traitées lors de la pièce sont à nouveau abordées, mais de biais. Elles subissent une radicalisation et une simplification qui rend le propos cynique, sans doute aussi plus pessimiste  837 .

Du coup, les divertissements renvoient forcément à une lecture autre des fins de pièces et invitent à se méfier d’une approche qui considèrerait avec trop de confiance la convention comme seule pourvoyeuse de sens.

Notes
833.

Cf. sur ce point l’article de P. Gethner (1994), qui montre que le développement du divertissement final est lié aux restrictions imposées par Lully dans l’emploi des musiciens professionnels au théâtre. Le remplace­ment de ces derniers par des acteurs qui ne soient pas chanteurs a contribué à rendre les divertisse­ments moins musicaux sans doute, mais plus comiques et plus réalistes. “Ce fut Dancourt qui fit le plus pour faire du divertissement un élément presque indispensable de la petite comédie, et ce fut lui qui en explora le plus grand nombre de possibilités” (p. 104, note 2).

834.

Cf. M. Gilot (1971), p. 71 : “C’est surtout ‘l’idée plaisante’ du fiasco qui anime la plupart des divertissements de Marivaux, car elle se prête à toutes sortes de variations, crues ou subtiles, d’ambivalences et de jeux allusifs”.

835.

Cf. P. Robinson (1989).

836.

La question statutaire du vaudeville est soulevée pertinemment par Nougaret (1769). Cf. infra, p. 732, dans l’annexe 3.

837.

Lorsque le divertissement n’est pas écrit par Marivaux, le problème est quasi-insoluble. En effet, le divertissement devient le premier point de vue de lecteur sur l’œuvre.