b. Le Père prudent et équitable

L’arrivée de Cléandre et sa tirade, nous l’avons vu, provoquent l’arrêt de tout mouvement. La fin de scène précédente fonctionnait sur un chassé-croisé : entrée de Philine, à qui Démocrite s’adresse, sortie piteuse de Crispin, arrivée inattendue de Cléandre. Cette intrusion du jeune homme fige une image centrée autour d’un axe Démocrite-Cléandre :

L’agenouillement de Cléandre aux pieds de Démocrite instaure un nouveau rapport de verticalité entre les deux éléments centraux du tableau. L’intervention successive de chaque personnage subalterne (à l’exception de Maître Jacques) éclaire provisoirement la zone périphérique où se trouvent les prétendants et celle où se trouve Crispin. En même temps, la distribution de la parole crée une partition spatiale entre ceux qui s’adressent à Cléandre (les trois prétendants) et ceux qui s’adressent à Démocrite (Philine, Toinette, Crispin), constituant ainsi des sous-espaces à l’intérieur du tableau. Les personnages du second groupe s’agenouillent-ils eux aussi ? Ceux du premier groupe, improbablement ? En tout cas, Démocrite finit par dire “Levez-vous”, sans qu’on s’ache s’il s’adresse au seul Cléandre ou à plusieurs personnages.

Se poser la question équivaut à évaluer le degré de contrainte textuelle contenu dans le texte proféré. La contrainte textuelle est tout ce qui, dans les répliques, apparaît comme une indication plus ou moins prégnante pour le metteur en espace  846 . Il est clair qu’une fois repérée la contrainte peut être respectée, adaptée ou refusée par le praticien. Ici, l’on voit clairement la différence entre les deux scènes : dans Le Père prudent et équitable, les indications de mouvement sont inscrites dans le texte des répliques :

‘“Cléandre : (…) et s’il faut embrasser vos genoux” ;
“Démocrite : ‑Levez-vous”.’

La contrainte est forte et difficile à ne pas respecter. Dans L’École des mères, au contraire, les contraintes sont moins prégnantes dans la mesure où elles figurent principalement dans les didascalies et ne sont pas relayées directement dans le texte. Certes, Monsieur Damis enjoint à son fils de s’approcher, ce qui implique l’éloignement préalable des corps, mais, en revanche, on ne trouve dans le texte des répliques aucune référence à l’agenouillement des deux jeunes gens, à l’attitude qui consiste à relever le suppliant, à l’embrassement entre la mère et la fille : le metteur en scène de L’École des mères est donc, sur ce plan, moins contraint que celui du Père prudent et équitable.

Notes
846.

Nous avons tenté de formaliser cette problématique dans un article à paraître (nov. 2003, dans Recherches et Travaux) intitulé “‘Mais prenons une chaise…’ dans tous les sens du terme” et dans “La Lecture du metteur en scène”, une étude jointe à un collectif à paraître que nous coordonnons sur En lettres rouges de Maurice Yendt (au CRDP de Lyon).