1. dynamique

Pour rendre compte du processus dynamique enclenché par les parcours amoureux, les projets de personnages et leurs effets, nous avons parlé de nouement. Le nouement a une dimension horizontale car il procède d’effets d’actions et de réactions. Parfois il est composé d’actions et de réactions qui ne se situent pas sur le même plan. Ainsi dans La Dispute, le projet du Prince trouve son illustration et sa réalisation dans les amours des jeunes sauvages. Il y a donc remplacement d’un projet conceptuel par un projet réel, dont le Prince sera le spectateur. Les deux niveaux d’action sont séparés.

Parfois, lorsqu’il y a deux pièces successives, le nouement global est la résultante de la somme des deux nouements internes. La première dynamique enclenchée s’interrompt, passe le relais à une seconde. Pour qu’on ait l’impression qu’il y a tout de même constitution d’un nouement, il faut nécessairement entre les deux nouements internes une liaison de personnages assurant, par un processus d’opposition ou de complémentarité, la cohésion de l’ensemble.

Mais le nouement a aussi une composition que l’on pourrait dire verticale  898 . Il s’agit de la mise en tension entre plusieurs projets, entre plusieurs parcours amoureux.

Le nouement est donc bâti sur cette double matrice. Dans les pièces courtes, le nouement peut aboutir naturellement au dénouement. Dans le dénouement par déclaration, le nouement, qui repose sur l’entrelacement de plusieurs parcours amoureux, a pour fin naturelle le dénouement. Le dénouement apporte une solution interne à la pièce et résulte de son développement spontané. Dans le dénouement par deus ex machina, c’est un personnage extérieur qui vient interrompre un nouement, soit que ce dernier soit impossible à achever (La Dispute, La Réunion des amours), soit qu’il faille défaire un projet de mésalliance par trop inconvenant (L’Héritier de village).

Chez Marivaux, le nouement est souvent menacé : par exemple d’une immobilisation, qui constitue le nœud. L’action est alors bloquée sans offrir de solution apparente. Il faudra procéder au dénouage pour que puisse se réaliser le dénouement. On voit bien dans Le Père prudent et équitable que l’arrivée de Cléandre et le gain de son procès sont la seule issue à un nœud constitué par la présence simultanée des prétendants de Philine, l’échec de Crispin pour les éloigner, l’entêtement de Démocrite à vouloir marier sa fille à l’un des trois rivaux de Cléandre et le refus de choix de Philine.

La deuxième menace est celle du dialogue rompu. Si le personnage concerné par le principal enjeu sort de scène, alors le risque est grand d’assister à l’interruption du nouement. Dans la hiérarchie des personnages, cette question concerne toujours un personnage essentiel. Si l’Angélique de L’Épreuve sort, si la Comtesse du Legs sort, il n’y a plus de nouement. Peut-on encore parler de dénouement pour autant ? Dans l’économie de la pièce, le départ d’Angélique suspendrait le projet de Lucidor et laisserait attendre une scène de commentaire : ce serait alors ce que nous avons appelé le dénouement-impasse qui ferait office de dénouement.

La troisième menace sur le nouement est l’apparition d’une autre forme de dénouement déceptif, allant à l’encontre du sens du texte ou de la tradition ou de la convention. Il peut s’établir alors un faux dénouement, ensuite annulé par un dénouage.

Le problème du dénouement marivaudien est encore compliqué par la composition en plusieurs pièces internes, qui entraîne, parfois, des dénouements intermédiaires. Et, s’il n’y a pas de dénouement intermédiaire, se pose la question de la pluralité des nouements et de l’unicité du dénouement. Le dénouement clôt-il le nouement des deux pièces ? Le dénouement de l’une des pièces l’annule-t-il, comme si le nouement de l’une devenait le nœud de l’autre ? On voit la complexité d’une telle structure. Nous la récapitulons ci-dessous. Pour le détail, nous renvoyons aux analyses précises des pièces.

Notes
898.

Au lieu de la métaphore dimensionnelle (horizontal vs vertical) on peut bien sûr proposer la métaphore axiale traditionnelle du syntagme et du paradigme. La succession des nouements fait la force syntagma­tique, vecteur de chronologie ; la mise en tension simultanée, la concurrence synchronique de plusieurs projets (sans doute la catastase de Scaliger, cf. supra p. 80 et infra p. 673), fait la force paradigmatique.