Textes néo-latins (Scaliger, Heinsius, Vossius)

‘(édition de 1561, citée en bibliographie ; traduction Christian Nicolas)
Italien de naissance et Agenais de cœur, Scaliger est un auteur dont l’influence a été grande sur toute la formation de la doctrine classique en France. Cet ouvrage inachevé (qui tient parfois du brouillon) a été édité par son fils après la mort de son auteur.’
  • I 5 et 6, p. 11 : Comoediam igitur sic definiamus nos, poema dramaticum, negotiosum, exitu laetum, stylo populari. (…) In illa (…) initia turbatiuscula, fines laeti. (…) In Tragoedia (…) principia sedatiora, exitus horribiles.
    “Voici donc comment nous pourrions définir la comédie : poème dramatique plein d’action, à fin heureuse, au style familier. Dans la comédie, les débuts de pièce sont agités et les fins heureuses ; dans la tragédie, les débuts sont plus sereins et les fins épouvantables” .
  • I 9, p. 14-15 Comoediae igitur partes aliae primariae, aliae accessoriae, aliae attinentes. Verae & primariae sunt quattuor, protasis, epitasis, catastasis, & catastrophe (…) Actus enim quintus interdum non est pars catastrophes , sed aequalis ei (…). Eodem modo & protasis actum primum tam totum comprehendit quam ab ea tota complectitur. Praeterea protasis non semper in primo : in secundo enim actu est apud Plautum in Milite Glorioso (…) Partes legitimae sunt sine quibus nequit fabula constare quibusque contentam esse oportet. Protasis est in qua proponitur & narratur summa rei sine declaratione exitus (…). Si enim praedicitur exitus, frigidiuscula fit. Tametsi ex argumento omnem rem tenes : tamen adeo expedita ac breuis est ut non tam saturet animum quam incendat. Epitasis , in qua turbae excitantur aut intenduntur. Catastasis , est uigor ac status fabulae, in qua res miscetur in ea fortunae tempestate in quam subducta est. Hanc partem multi non animaduertere, necessaria tamen est. Catastrophe conuersio negotii exagitati in tranquillitatem non expectatam.
    Traduction : “La comédie a des parties primordiales, des parties accessoires, des parties annexes. Les parties authentiques et primordiales sont au nombre de quatre : protase, épitase, catastase et catastrophe (…). Parfois l’Acte V n’est pas une partie de la catastrophe mais lui est consubstantielle (…). De même la protase contient l’intégra­lité de l’Acte I tout autant que ce dernier est embrassé par l’intégralité de la protase. En outre, la protase n’est pas toujours au premier acte : car on la trouve au second acte du Soldat fanfaron de Plaute (…). Ce sont les parties régulières, sans lesquelles il ne saurait y avoir de pièce de théâtre et dont il est nécessaire qu’elle se contente. La protase est le moment où est exposé et narré l’essentiel de la situation sans révélation de la fin (…). Car si on dévoile la fin, la pièce devient tiédasse. On a beau tenir de l’argu­ment toute l’histoire, celle-ci y est si expédiée et si brève que, loin de rassasier l’esprit, elle attise au contraire son intérêt. L’épitase est le moment où le trouble naît ou s’intensifie.La catastase est une énergie et une stabilité de la fable ; dans la catastase, la situation se teinte de l’état de fortune jusqu’où elle a été amenée. Beaucoup n’ont pas pris en compte cette partie, mais elle est nécessaire. La catastrophe est le changement des affaires qui passent de l’extrême agitation à un calme inattendu”.
  • Ibid. p. 15 : Sicuti in tragoediarum fine et in fine Amphitruonis earumdem genere machinarum opus fuit ad producenda numina quorum ope summa pericula, summae desperationes in meliorem spem reducerentur. Quales exitus in Sophoclis Philocteta et apud Euripidem legimus.
    Traduction :“Comme dans les fins de tragédies, il y a besoin aussi, dans la fin d’Amphitryon <de Plaute> des mêmes genres de machines pour faire descendre des dieux grâce auxquels les plus grands périls et les plus grands désespoirs puissent se changer en espoir d’amélioration. On peut lire de tels dénouements dans le Philoctète de Sophocle et chez Euripide”.
  • I 11, p. 18 : Protasis autem et catastrophe non differunt genere, sed modo. Vtraque enim negotiosa. Catastrophe illis turbis addidit mortes aut exilia. Vtrique tamen commune, interdum exitum commistum habere maerore ac laetitia. Nam in Asin. et Phorm. et Cas. et Persa, laetos simul ac maestos inuenias. Quin ipsum militem male multatum : de quo tamen Comoedia est inscripta. Nam si comoedia est, laetus exitus, et comoedia est Miles : miles exitum laetum habeat oportet. Sic in Antigona interficitur mater et adulter : at exultant gaudio uirgines.
    Traduction : “La protase et la catastrophe ne diffèrent pas par le genre mais par la manière. Toutes deux en effet sont de genre agité. Mais la catastrophe <tragique> ajoute à ces troubles des morts ou des exils. Toutes deux ont parfois en commun d’avoir un dénoue­ment hybride, triste et heureux à la fois. Dans l’Asinaria de Plaute, le Phormion de Térence, la Casina et le Persa de Plaute, on peut trouver des personnages heureux et des affligés. Le soldat fanfaron lui-même finit gravement puni : pourtant la pièce porte le titre de Comédie. Car si c’est une comédie, la fin est heureuse, et le Soldat est une comédie : il faudrait donc que le soldat connaisse une fin heureuse. De même dans Antigone, une mère et son amant sont assassinés et pourtant les jeunes filles exultent de joie”.
  • III 97, p. 145 : Ab eo facto aut ab ea persona quae est celeberrima dignitate et infelicitate aut quae plurimum uersatur in toto argumento, titulus est imponendus. Quare Hecuba dicitur illa Euripidae quia ab initio ad calcem ubique est. Verum cum tragoediae sit infelix exitus , et tragoedia sit Hecuba, oportuit Hecubam in fine quam in principio maestiorem. Id autem nequaquam fit : ultione enim paulo minus tristis.
    Traduction : “C’est l’événement ou le personnage caractérisés par le plus grand prestige ou le plus grand malheur, ou la plus grande présence dans toute la fable, qui doivent donner le titre à la pièce. C’est pourquoi la pièce d’Euripide s’intitule Hécube : cette dernière est sur scène du début à la fin. Mais puisqu’une tragédie doit avoir un dénouement funeste, et qu’Hécube est une tragédie, il aurait fallu qu’Hécube soit plus affligée à la fin qu’au début. Ce n’est pas du tout le cas : par sa vengeance, elle est un peu moins triste”.
  • Ibid., p. 146 : euentus (…) peripeteías [car. grecs] uocat Aristoteles (…) Totum corpus fatale dicitur ab eo sústasis [car. grecs] : turbatio negotiorum, désis [car. grecs] : multa enim connectuntur . Exitus lúsis [car. grecs].
    Traduction : “les événements, Aristote les appelle péripéties . Tout l’ensemble de destinées, il l’appelle sústasis ‘composition’ ; le trouble des affaires, désis ‘nœud’ : car beaucoup d’événement sont liés. Le dénouement, lúsis ”.
  • VII 4, p. 348 : Duas omnino partes idem tragoediae facit : désin [car. grecs] id est compositionem , etiam fasceationem dicas si liceat, sicuti fasciatim, et lúsin [car. grecs] id est solutionem atque explicationem rerum complicatarum, quae in exitu est. Posteriores catastrophen appellarunt (…). Species uero tragoediae facit quatuor : unam peplegménen [car. grecs] id est implicatam euentis et agnitionibus etc.
    Traduction : “le même Aristote attribue en tout et pour tout deux parties à la tragédie : le nœud ( désis ), c’est-à-dire la composition, ou même, si l’on peut dire, la faiscellisation, comme on dit ‘en faisceaux’, et le dénouement ( lúsis ) et le débrouillement des actions embrouillées que l’on trouve à la fin. Les successeurs <d’Aristote> ont appelé cette notion catastrophe . (…) Il attribue quatre espèces à la tragédie : l’une est la peplegménè , c’est-à-dire entrelacée de péripéties et de reconnaissances…”.

Le De Constitutione Tragoediae de 1643 démarque à peine l’édition de 1611. Nous nous contenterons donc de l’édition plus récente, telle qu’elle est éditée par A. Duprat (2001). Une différence notable entre la version antérieure et celle-ci a été commentée : il s’agit du remplacement du verbe connexuit par le verbe intricavit. Cf. ci-dessus p. 116. La traduction proposée est celle d’A. Duprat (2002).

  • Ch. 6 : Quae manifesta sane in contrarium mutatio. Quarum in altera felicitas in felicitatem ; in altera, quae duplici mutatione constat, in felicitatem Lyncei infelicitas. Finis autem est illius, ut vel amicitia sic, hoc est, ex Agnitione, oriatur vel simultas, quae felicitatis pariter atque infelicitatis causae ; interdum autem fit ut utraque concurrant.
  • Mutatio nimirum ista quam Peripetiam vocant, et Agnitio, quam quidem unam inter omnes maxime absolutam censet Fabulam (p. 170).
    Traduction “voilà un renversement de situation parfaitement clair. Dans la première des deux Tragédies, le bonheur est changé en malheur ; dans l’autre, le renversement est double : le malheur de Lyncée est changé en bonheur, tandis que Danaos passe de la fortune à l’infortune. Ce renversement a pour effet de déboucher ainsi ‑ c’est-à-dire par Reconnaissance ‑, soit sur l’amitié, soit sur la haine ; les deux pouvant entraîner aussi bien le bonheur que le malheur.
    Parfois, d’ailleurs, il arrive que les deux se retrouvent combinés ensemble ‑ je veux dire ce Renversement que l’on appelle Péripétie et la Reconnaissance ‑, ce qui donne alors, d’après Aristote, la seule Fable qui soit absolument parfaite” (p. 171).
  • Eum igitur, in seruitutem comitantur fratres, ubi summam praeter expectationem subito felicitatem consequuntur : quae verissima Peripetia. Cum hac parte, alter quaeret eleganter, tamquam causa cum effectu. Fratrem quippe agnoscunt. Et haec est Agnitio ; sine Agnitione enim fieri Peripetia potest : sine Peripetia autem fieri non potest Agnitio, quae tam valide commiserationem in hoc argumento mouet, ut inuito mihi saepe lachrymas excusserit.
    Quare historia Iosephi et Implexa est non Simplex, et perfecte Implexa ; cum Peripetiam et Agnitionem coniungat : neque ulla magis apta Tragoedia inveniri possit actio. In qua illud vel imprimis observandum, in felicitatem tendere mutationem, sicut in Iphigenia in Tauris. Utranque et in Homeri Odyssea habes. Infelix Penelope est, et maritum luget. Mox maritum simul et agnoscit, et felicitate minime expectata potitur.
    Caeterum cum utraque concurrat, id inprimis observandum, non cum qualibet Agnitione iungi quamlibet Peripetiam posse. (p. 170-172).
    Traduction : “C’est pourquoi ses frères [ceux de Joseph] l’accompagnent dans son esclavage, geste qui, contre toute attente, tourne soudain à leur plus grand bonheur ‑ ce qui est une authentique Péripétie, s’il y en eut jamais. De plus, l’autre partie de la Fable est liée à celle-ci de la meilleure façon possible, comme la cause à son effet, puisqu’ils reconnaissent alors leur frère ‑ voilà la reconnaissance. En effet, la Péripétie peut avoir lieu sans la Reconnaissance, mais la Reconnaissance ne saurait se produire sans entraîner la péripétie ; et la Reconnaissance que l’on trouve dans cet argument suscite une compassion assez violente pour m’arracher souvent des larmes, quelque effort que j’y fasse.
    Ainsi, l’histoire de Joseph relève de la fable Complexe, non-Simple, et réalise même l’idéal de la fable Complexe, puisqu’elle emploie également, en les liant ensemble, la Péripétie et la Reconnaissance ; on ne saurait donc trouver une action qui soit plus adaptée à la Tragédie. Ce qui est sans doute le plus remarquable dans cette action, c’est que le Renversement se fait vers le bonheur, comme c’est aussi le cas dans Iphigénie en Tauride. On trouve également la même combinaison dans l’Odyssée d’Homère. Au début, Pénélope est malheureuse, et porte le deuil de son mari. Ensuite, elle reconnaît son mari, et accède du même coup à un bonheur totalement inattendu.
    D’autre part, lorsqu’on retrouve les deux mouvements dans la même action, il faut bien noter que l’on ne saurait combiner n’importe quel type de Péripétie avec n’importe quel type de Reconnaissance” (p. 171-173).
  • Ch. 11 : Et hoc quidem modo postquam constituta fuerit jam Fabula, duas esse illius videbit partes, quarum alteram Connexionem, alteram Solutionem recte dixeris. Harum prior, quaedam propria ipsius Fabulae, quaedam non propria ; altera non nisi propria, et quae sunt de actione, complectitur. Propria dico, quae ad Episodium non spectant, neque amplificationis aut ornatus causa ponuntur ; sed sunt talia, ut sine illis tota esse actio non possit. Non propria, ipsa Episodia, quae Solutionem non ingrediuntur. Ea quippe in dispositione Implexa, cum Peripetiam et Agnitionem, sine quibus talis non esset, in Simplici autem saltem contineant mutationem, Episodia excludunt. (p. 212).
    Traduction : “Alors, après avoir constitué la Fable selon ce procédé, on constatera qu’elle a deux parties, que l’on peut désigner proprement comme son Nœud et son Dénouement. La première des deux contient des éléments propres à la Fable elle-même, et d’autres qui ne le sont pas, tandis que l’autre ne comprend rien qui n’appartienne en propre à l’action. J’appelle ‘propres’ les éléments qui ne relèvent pas de l’Épisode, et ne sont pas introduits pour servir d’amplification ou d’ornement, mais sont au contraire essentiels à l’action, de sorte que sans eux, elle ne saurait être complète ; et j’appelle ‘non propres’ les Épisodes eux-mêmes, qui n’interviennent pas dans le Dénouement. En effet, les éléments propres à la Fable comprennent la Péripétie et la Reconnaissance dans la disposition Complexe ‑ qui sans eux ne serait pas ce qu’elle est ‑ et au moins le renversement dans la disposition Simple ; ils ne sauraient donc comprendre les Épisodes” (p. 213).
  • Ch. 12 : Inter alia superiore capite de soluendi ratione ac connectendi egimus. Quarum altera ex altera dependet ; altera sine altera nec dici potest nec intellegi. Utranque urbana voce Aristoteles indigetavit, exemplo scilicet eorum qui ligant & mox soluunt. Sicut autem euenire solet, ut qui nodum nectit, mox eundem aegre soluat ; interdum vero rei difficultate victus, prorsus abstinere se cogatur ; sic poeta saepe nectit, quae aut nulla ratione, aut non recte extricare potest.
  • Huic rei usitatam Solutionem inuenere, quam ex machina dixerunt, quae nec artis quicquam habet, et ut plurimum cum arte pugnat. Solet autem unicum effugium poetae esse, cum quae imprudenter intricavit, soluere feliciter non potest (…). Quare cum plerunque inextricabiles poetae, inquit, fecerunt actiones, finem miraculosum impo­nunt, et Solutionem, quam inferre ipsi non possunt, necessario a Deo petunt, cum nihil non dissolui sic possit. Ex quo usus machinae apparet, quem non satis perspexisse viri docti videntur. (…) (p. 220) Sicut in Amphictrione Plauti Iupiter, in Oreste Euripidis Apollo, in Ione Minerua, In Hippolyto Diana soluunt argumentum. Quod cum male intricatum a poeta fuerit, a numine extricatur ; id enim actioni male constitutae remedium est (p. 222).
    Traduction : “Dans le chapitre précédent, il était question, entre autres, de la méthode à suivre pour nouer et dénouer une intrigue ; l’un dépend en effet de l’autre et l’on ne saurait les formuler ni les comprendre séparément. Aristote a désigné ces deux opérations par une expression spirituelle, inspirée de ce que l’on fait lorsqu’on noue un lien, et que l’on doit ensuite le défaire. Or il arrive en général qu’après avoir fait un nœud, on ait ensuite bien du mal à le dénouer ; et souvent, vaincu par la difficulté de l’opération, on est alors contraint d’abandonner la partie. De même, le poète fait souvent un nœud qu’il est ensuite incapable de démêler, de quelque façon que ce soit ‑ ou alors il le dénoue mal.
  • Pour résoudre ce problème, on a alors inventé un type de Dénouement qui est entré dans l’usage, et que l’on a appelé le Dénouement par machine. Ce type de Dénouement est dépourvu de tout art, et va même la plupart du temps à l’encontre de l’art. C’est d’ordinaire la seule planche de salut dont dispose un poète qui ne réussit pas à résoudre avec succès ce qu’il a imprudemment embrouillé (…). C’est pourquoi, ajoute <Platon>, lorsque les poètes ont emmêlé, comme cela leur arrive souvent, leurs actions de façon inextricable, ils leur imposent une fin miraculeuse, contraints qu’ils sont d’aller chercher auprès d’un Dieu le Dénouement qu’il ne peuvent fournir eux-mêmes, puisqu’il n’y a rien qu’on ne puisse résoudre de la sorte. D’où l’usage de la machine, que les doctes n’ont manifestement pas compris. (…) Ainsi dans l’Amphytrion (sic) de Plaute, c’est Jupiter qui résoud (sic) l’argument ; de même Apollon dans l’Oreste d’Euripide, Minerve dans Ion et Diane dans Hippolyte. L’argument noué de travers par le poète se trouve ainsi démêlé par une puissance divine ; c’est donc là le remède initial à une action mal constituée” (p. 221-223).

(édition citée dans la bibliographie ;traduction Christian Nicolas) :

  • I, 5
    5. § Fabulâ constitutâ, distinctè oportet ejus partes spectare : quae duae sunt,
    connexio, & solutio . Connexio extenditur usque ad eum locum ubi commutatio sit ex felicitate in felicitatem ; vel contrà. Solutio est quod à mutationis principio est usque ad finem.
    Aristoteles similter has partes vocat
    désin kaì lúsin [car. grecs] († ligationem, sive connexionem & solutionem : quas voces libenter retinuimus, quia elegantes sunt. Nam omnino hîc similiter se res habet, ac in iis qui nodum aliquem vinciunt , posteaque solvunt . (p. 39)
    Traduction : “5. Une fois la fable constituée, il faut examiner soigneusement ses divisions, qui sont au nombre de deux : le nœud et le dénouement. Le nœud s’étend jusqu’au moment où il y a changement du bonheur en malheur ou l’inverse. Le dénouement est ce qui va du début de ce changement jusqu’à la fin.
    Aristote, semblablement, a nommé ces divisions désis et lúsis (‘lien ou nœud’ et ‘dénouement’), termes que nous avons retenus volontiers car ils sont élégants. Car tout se passe exactement comme quand des personnes nouent un nœud et le défont ensuite”.
  • 13. § Nec temere in solutione fabulae recurrendum ad fugam per machinam vel Dei in eà è caelis descensum. Nam cum illaudabile sit nodum nectere quem solvere non possis, ne in poëtis quidem probatur, si ejusmodi rerum perturbationem inducant ut se expedire haud aliter possint quam vel ad Deum recurrendo, cui nihil adúnaton [car. grecs] (†impossibile) , vel aliquem per machinam subducendo, quod ipsum magicae, non licitae est artis. (p. 45)
    Traduction : “13. Ce n’est pas à l’aveugle qu’il faut, dans le dénouement de la pièce, recourir à la fuite par machine ou à la descente d’un dieu par ce moyen. Car puisqu’il est blâmable de faire un nœud qu’on ne sait pas défaire, on ne peut pas non plus approuver le poète qui a mené l’action à un tel degré de complexité qu’il ne peut plus se tirer d’affaire qu’en recourant à un dieu, à qui rien n’est impossible, ou en subtilisant un personnage grâce à la machine, ce qui relève de la technique de la magie, non de la technique régulière du théâtre”.
  • I, 6
    20. §
    Peripéteia [car. Grecs] haec esse debet in personis iis de quibus fabula praecipue agit. Optimaque est quando nascitur ex vi antecedentium rerum. (p. 47)
    21. §
    Anagnórisis [car. grecs] († Agnitio ) est unius pluriumue personarum post longi temporis ignorantiam, cognitio. Estque uel simplex uel duplex (…). (p. 47)
    22. § Etsi
    peripetia sine agnitione esse potest et agnitio aliqua est sine peripetia, non tamen agnitio simplex huius est loci sed quae peripéteian [car. grecs] († conversionem sive subitam in contrarium commutationem ) habet. Nam ea affectus imprimis movet (…). (p. 48)
    23. § Quemadmodum
    peripéteia [car. grecs] († conversio rerum) laudabilior quae provenit vi antece­dentium caussarum, ut diximus ; ita anagnórisis [car. grecs] († agnitio ) praestat quam immutatio rerum statim consequitur et quam ipsa fabulae dispositio producit. (p. 48)
    Traduction : “20. La péripétie doit affecter les personnages principaux de l’action. Et elle est excellente quand elle naît de la pression des événements antérieurs.
    21. L’anagnorisis (‘reconnaissance’) est la connaissance à laquelle accède(nt) un ou plusieurs personnages après une ignorance d’une longue durée. Elle est simple ou double (…).
    22. Bien qu’il puisse y avoir péripétie sans reconnaissance et une forme de reconnaissance sans péripétie, pourtant la reconnaissance simple n’a pas la valeur de celle qui a une péripétie (‘changement ou modification subite en son contraire’). Car c’est elle qui suscite le plus les passions. (…).
    23. De même que la péripétie (‘changement des événements’) est plus louable quand elle provient de la pression de causes antérieures, comme on a dit, de même la meilleure anagnórisis (‘reconnaissance’) est celle qui précède aussitôt le changement des événements et qui est préparée par les dispositions de la fable”.
  • I, 7
    8.§ Nec minus dispiciendum quando desinere oporteat. Quemadmodum enim initium ita et finis illustris esse debet. Qualis imprimis est exitus inopinatus. Progrediendum igitur usque dum fabulae accedit venustas & gratia, desine- // re vero convenit si videamus fore ut gratia fabulae deinceps depereat.
    9. §
    Episodia in connexione magis quam in solutione locum habent ; quia in hac animus ad exitum festinat. In fine tamen interdum referuntur quae primariam actionem sunt consecuta. Sed quae ad praeteritorum narrationem pertinent, magis conveniunt mediis vel etiam initiis. (p. 65-66)
    Traduction : “8. Il ne faut pas moins examiner à quel moment il est opportun de terminer. Car comme le début, la fin aussi doit être remarquable. Telle est surtout l’issue inattendue. Il faut donc avancer jusqu’au moment où la fable gagne en agrément et en intérêt, et il convient de terminer quand on voit qu’il y a risque d’une retombée de cet intérêt.
    9. Les épisodes ont davantage leur place dans le nœud que dans le dénouement parce que, dans ce dernier, l’esprit se hâte vers la fin Pourtant dans les fins, parfois, sont narrés des événements qui ont suivi l’action principale. Mais en ce qui concerne la narration des événements passés, ils conviennent davantage au milieu ou même au début”.
  • I, 9 De fabulae divisione
    4. § Fabula
    implexa est, quae vel agnitionem , & immutationem habet ; vel alterutram saltem. (…) (p. 77)
    5. § Fabula
    connexa , quia argumento per se placet, minus ingenii, ac studii, exigit. Atque ut connexa omnis gratior est simplici : ita ex connexis jucundior est, in qua immutatio, & agnitio , concurrunt. (…) (p. 77)
    6. § Altera etiam fabulae divisio est. Quaedam enim
    simplex est ; ut si persona ex infelici fiat felix, vel contrà. Quaedam duplex  ; nempe si eventus in plures personas cadat . Cuius‑ // modi fabula rectè duplex vocatur, quia personae geminantur : putà, duo senes, duo juvenes, duae virgines ; & pro his duplex eventus . Rectè tamen tum quoque una vocatur fabula ; quia princeps actio est una, unaque solutio , ac peripéteia [car. grecs] († immutatio ) . Nam unius immutatâ conditione, necessariò immutatur fortuna alterius. (p. 77-78)
    Traduction : “4. La fable implexe est celle qui a ou bien reconnaissance et péripétie ou au moins l’une des deux. (…).
    5. La fable connexe, dans la mesure où elle plaît d’elle-même par son argument, exige moins de talent et d’art. Et, de même que la fable connexe est plus agréable que la simple, de même, parmi les connexes, la plus agréable est celle où figurent à la fois péripétie et reconnaissance (…).
    6. Il y a aussi une deuxième typologie de la fable. L’une est la fable simple : par exemple si un personnage malheureux devient heureux, ou l’inverse. L’autre est la fable double : c’est le cas si un accident tombe  909 sur plusieurs personnes. C’est à juste titre qu’on donne aux fables de cette sorte l’appellation de double, puisque les personnages sont dédoublés : par exemple deux vieillards, deux jeunes premiers, deux jeunes filles, et, pour ceux-ci, double péripétie. Pour autant, c’est à juste titre qu’on appelle la fable unique : l’action principale est une, il n’y qu’un dénouement et qu’une péripétie (“changement”). Car le changement de fortune de l’un entraîne automatiquement le changement de fortune de l’autre”.
  • II, 5
    5. § Actus fabulae, nec plures sunt, nec pauciores, quam quinque : ac ferè sic distinguuntur. Primus argumentum exponit, at non exitum  ; quia minus esset delectationis, si is praesciretur. Alter deducit rem in actum. Tertius turbas ciet. // Quartus viam ostendit, qua res implicitae dissolvantur. Ultimus impedita artificiosè expedit . (20-21)
    Traduction : “Les actes d’une pièce de théâtre sont au nombre de cinq, ni plus ni moins. On les distingue ainsi : le premier expose l’argument, mais non l’issue, car il y aurait moins de plaisir si l’issue était annoncée. Le second met en action l’affaire. Le troisième y met du trouble. Le quatrième indique la voie pour dénouer l’intrigue. Le dernier démêle techniquement l’imbroglio”.
  • 11. § Adhec diverbium dividitur in protasin, epitasin, & catastrophen .
    Nempe, ut Logici tres faciunt syllogismi partes, propositionem, assumtionem, conclusionem : ita (ut monent antiqui interpretes Terentii* [*Euanthius de tragoedia, & comoedia.]) tres sunt partes dramatis : ex quibus
    protasis propositioni respondet ; catastrophe conclusioni  ; epitasis verò est, quod interjectum. Caesar Scaliger† (†Lib. I de re poet. cap. 9.) quartam partem addit, quae catastasis dicatur, & ponatur inter epitasin, & catastrophen. Sed ea ab antiquis non minus rectè sub epitasios nomine comprehenditur.
    12. §
    Protasis est dramatis initium, quo, quod antecessit, refertur, & ad reliquam fabulam via munitur. (p. 22) (…)
    At rectè idem [scil. Donatus] partem argumenti ait reticeri, ad exspectationem populi tenendam. Nam si
    exitus praesciatur, frigebunt caetera. Contrà erunt gratiora, si exspectatione suspensus detineatur animus audientium. (p. 23).
    Traduction :
    11. En outre, la partie dialoguée est divisée en protase, épitase, catastrophe .
    Comme il y a trois parties du syllogisme, chez les logiciens, la proposition, la mineure et la conclusion, de même, selon la doctrine des anciens interprètes de Térence (Evanthius, Trag. et Com.), il y a trois parties dans le drame : la protase répond à la proposition, la catastrophe à la conclusion ; quant à l’épitase, c’est ce qui est au milieu. Scaliger (I, 9) ajoute une quatrième partie, qui s’appelle catastase et qu’il faut placer entre l’épitase et la catastrophe. Mais les Anciens, tout aussi légitimement, la rangent sous l’étiquette d’épitase.
    12. La protase est le début du drame où l’on rapporte ce qui a précédé et où l’on trace la voie au reste de la pièce. (…) Mais le même Donat, à juste titre, dit qu’on passe sous silence une partie de l’argument pour garder l’attention du public. Car si l’issue est annoncée, le reste sera froid. Tout au contraire, il y aura plus d’agément si l’esprit des auditeurs est rendu attentif par le suspens”.
  • 15. § Catastrophe est exitus fabulae , quo exponitur fortuna in melius, aut pejus, conversa .
    Scaligero, , (, , Lib. I Poet. cap. 9)
    catastrophe definitur, conversio negotii exagitati in tranquillitatem non exspectatam. Ab Euanthio * (*Dissertat. de Tragoed. & Com.) dicitur esse conversio rerum ad jucundos exitus patefacta cunctis cognitione gestorum. Sed definitio utraque solum convenit catastrophae Comicae . (p. 23).
    16. § Ex hisce partibus in comoediis
    protasis , ut dixi, actu primo, nonnumquam etiam secundo, continetur : epitasis actu secundo, tertio, interdum et quarto ; rarò autem ejus particula est in quincto. Catastrophe interdum actum quartum, vel partem ejus, occupat : semper verò vel totum actum quinctum, vel penè totum.
    Unde liquet, divisionem Graecorum in
    protasin, epitasin, catastrophen, & choricum , meliorem esse, quàm illam Latinorum in quinque actus. Nam distributio, à Graecis assignata, distinguit drama in partes dissimiles, naturâque differentes : quod non fit partitione in actus ; ubi magnitudo, non dissimilitudo, spectatur. (p. 24)
    Traduction : “La catastrophe est l’issue de la pièce, où l’on montre le changement de fortune vers une meilleure ou vers une pire destinée. Scaliger (I, 9) définit la catastrophe comme le changement des affaires qui passent de l’extrême agitation à un calme inattendu. Evanthius (Trag. & Com.) la définit comme le renversement de la situation en une fin heureuse pour tous, par la connaissance des faits. Mais ces deux définitions ne s’appliquent qu’à la catastrophe comique.
    16 De ces divisions de la comédie, comme je l’ai dit, la protase se trouve contenue dans l’Acte I, parfois aussi dans l’Acte II ; l’épitase est dans les Actes II, III et IV ; on en voit rarement un morceau dans l’Acte V ; la catastrophe occupe parfois l’Acte IV, au moins partiellement, mais elle couvre toujours l’Acte V intégralement ou presque intégralement.
    D’où il appert que la division des Grecs en protase, épitase, catastrophe et partie chorale est meilleure que celle des Latrins en cinq actes. Car la distribution opérée par les Grecs distingue dans le drame des parties dissemblables, de nature différente, ce que ne fait pas la division en actes : là, c’est la quantité, non une différence de nature, qui est examinée”.
  • 17. § Ab aliis dividitur drama in prologum, episodium, exodum, & chorum . Quae distributio non alio differt à superiori, quàm quòd chorum superaddat. Nempe divisio ea non solius diverbii est ; sed totius dramatis. Ac prologus (…) convenit cum protasi ; episodium cum epitasi ; exodus cum catastrophe .
    Est haec divisio Aristotelis. (…) Siquidem
    prologus Aristoteli est, quicquid in dramate antecedit chori ingressum. Sic enim loquitur : ésti dè prólogos mèn méros hólon trago(i)días, tò pró khoroû paródou [car. grecs] . Est autem prologus tota tragoediae pars, ante chori ingressum. Unde cognoscimus, aliter ab Aristotele accipi prologi vocem, quàm à Latinis. Aristoteli designat partem fabulae cum caeteris necessariò connexam. Euanthio* (*In Prolegomenis Terentianis, vulgo attributis Donato) verò est antecedens veram fabulae compositionem locutio : hoc est, oratio, quae ad spectatores ante legitimam habetur fabulam. Quomodo si utamur eâ voce, Graecorum dramata carent prologo (p. 24) (…). // Episodium verò Aristoteli est, quicquid est inter prologum & exodum, chorico excepto : sive quod inter primum, & ultimum chori cantum, interjicitur. Verba ejus sunt : [citation en grec d’Aristote, suivie de sa traduction] Episodion est tota tragoediae pars, quae est inter choricos cantus. Huc plurimùm pertinent secundus, tertius, quartusque actus. Vocatur enim epeisódion [car. grecs] , q. d. introductio ; quia cum naturâ suâ sit extra actionem, de qua texitur fabula ; cum eâdem tamen connectitur, aptéque inseritur ; unde Latinè Insertum dixeris (…) Exodus (quem Latinè exitum voces ) Aristoteli definitur, méros hólon trago(i)días meth’hoû ouk ésti khoroû mélos [car. grecs] . pars ea tota fabulae, post quam nullus est chori cantus. Quae optimè conveniunt catastrophae . (p. 25)
    Traduction : “17. D’autres divisent le drame en prologue, épisode, exode et chœur. Cette typologie ne diffère de la précédente qu’en ce qu’elle ajoute le chœur. De fait, ce n’est pas seulement de la division des parties dialoguées qu’il s’agit, mais de celles de toutes la pièce. Et le prologue (…) correspond à la protase, l’épitase à l’épisode, l’exode à la catastrophe.
    La typologie d’Aristote est la suivante. (…) Pour Aristote, le prologue est, dans le drame, tout ce qui précède l’arrivée du chœur. Voici ses mots : ‘le prologue est une partie complète de la tragédie qui précède l’arrivée du chœur’. Ainsi nous apprenons qu’Aristote ne donne pas au mot prologue le même sens que les Latins. Pour Aristote c’est une partie de la fable nécessairement liée à toutes les autres. Mais pour Evanthius (dans le préambule à l’analyse de Térence qu’on prête généralement à Donat), c’est un morceau oratoire qui précède la véritable composition de la fable, à savoir un discours tenu à l’intention des spectateurs avant le début de la pièce authentique. Si on utilise le terme en ce sens, alors les pièces grecques sont dépourvues de prologue (…). L’épisode selon Aristote est tout ce qui se trouve entre le prologue et l’exode, à l’exception des chants du chœur. Ou encore, ce qui est mis entre le premier et le dernier chant du chœur. Voici ses mots : ‘L’épisode est une partie complète de la tragédie qui est entre les chants du chœur’. En relèvent surtout les Actes II, III et IV. Car il s’appelle epeisódion, c’est-à-dire ‘entrée’, parce que, bien que par nature il soit extérieur à l’action dont se tisse la fable, néanmoins il est rattaché à elle et est inséré étroitement : c’est pourquoi on peut l’appeler insertum (‘inséré’) en latin (…). L’exode (qu’on peut appeler exitus ‘issue’ en latin) est défini par Aristote une partie complète de la tragédie après laquelle il n’y a plus de chant du chœur. Mais toutes ces définitions conviennent excellemment à la catastrophe comique”.
  • II, 15 De partibus tragoediae (p. 79)
    3. § In
    catastrophe post illud, quod tristissimum est, non debet subjici aliud, quod minus triste est. Vel, si id facit, magno opus erit artificio, ne prior affectus languescat. (…) (p. 79)
    Traduction : “3. Dans la catastrophe, après ce qu’il y a de plus triste on de doit rien ajouter qui soit moins triste. Ou alors, il faudra beaucoup d’art pour empêcher le premier sentiment de s’affaiblir”.
  • 5. § Sed opera danda est, ut solutio fabulae potiùs ex ipsâ sit fabulâ, quàm per machinam (…) (p. 79)
    Traduction : “5. Mais il faut veiller à ce que le dénouement vienne de la fable même plutôt que d’une machine”.
  • II, 18
    3. § Constitutâ fabulâ, videndum, ecquis ante nos tragicam hanc actionem tractârit. Si aggressus eam nemo ; pro arbitratu nostro comminiscemur, quae ad connexionem, & solutionem fabulae, pertinent. Sin praeiverit alius ; videndum, an non melius connexio, aut solutio , institui possit. Quod si fiat ; ut fabulae nomen sit idem, fabula tamen diuersa erit.
    Nam ut fabula est una, non quae unum habet nomen ; sed ubi eadem
    est connexio, & solutio  : ita fabula est diversa, ubi differunt haec duo (…) (p. 89).
    Traduction : “La fable une fois constituée, il faut regarder si quelqu’un avant nous a traité cette action. Si personne ne l’a fait, nous devrons imaginer par nous-mêmes ce qui relève du nœud et du dénouement. S’il y a un prédécesseur, il faut regarder si on peut trouver un meilleur nœud et un meilleur dénouement. Si l’on y arrive, quand bien même la pièce aurait le même titre, ce sera quand même une autre pièce.
    Car de même qu’on dira que c’est la même pièce non pas quand il y a le même titre mais quand il y a même nœud et même dénouement, de même la fable est autre quand ces deux aspects diffèrent”.

Notes
909.

Allusion étymologique. La péripétie, désignée du nom générique d’euentus, comme chez Scaliger, est en outre “expliquée” étymologiquement par le verbe cadere“tomber”, qui se trouve présent dans l’analyse qu’on peut faire en grec de la forme interne du terme peipéteia. En même temps, il semble que la péripétie soit unique, comme le montre la suite du texte. Donc soit, malgré le verbe cadere, eventus ne désigne pas ici la péripétie, soit il la désigne, mais c’est la même et unique péripétie qui frappe les deux personnages concernés.