L’université participe au renouveau des études mélodramatiques mais dans ce domaine comme dans les autres, les situations peuvent apparaître fort contrastées. C’est ce que constate Paulo Antonio Paranaguá, qui estime que :
‘[…] le nationalisme implicite ou explicite dans la démarche des uns et des autres a conduit à privilégier la recherche sur le spectacle cinématographique à l’échelle de chaque pays. Les turbulences subies par l’institution universitaire d’une nation à l’autre se reflètent dans la vigueur plus ou moins soutenue de l’historiographie 5 .’La progression des études cinématographiques dans les universités est indéniable, malgré ses limites 6 . Même si le cinéma devient un objet d’étude à part entière, l’accent est davantage mis sur l’apprentissages des pratiques qui lui sont liées que sur des recherches proprement dites. Outre les centres de formation professionnelle, il existe au Mexique deux organismes destinés à la préservation et à la diffusion du patrimoine cinématographique national : la Filmoteca de l’UNAM, et la Cineteca, proposant aux chercheurs des bases de données sur le cinéma national, mais aussi des catalogues de photomontages, d’affiches et de photographies. Malgré tout, cet effort d’archivage connaît ses limites. Le Centro de Investigaciones y Estudios Cinematográficos (CIEC) de Guadalajara, est un véritable centre universitaire d’études cinématographiques dont les orientations semblent se diriger davantage vers les activités de recherche sur le cinéma que sur les enseignements liés à sa pratique, à l’origine de nombreuses publications sur le cinéma mexicain.
Au cours de nos recherches au Mexique, en particulier à la Filmoteca de l’UNAM (Mexico) et au CIEC, nous avons consulté divers mémoires rédigés par des étudiants dans le cadre de leurs recherches universitaires 7 . Il s’agit majoritairement de ‘«’ ‘ tesis de licenciatura ’», c’est-à-dire de diplômes de deuxième cycle universitaire. Le relevé opéré ne prétend pas être exhaustif, mais ce sont les seuls travaux que nous avons pu trouver en consultation dans les centres de recherche fréquentés. Ainsi, s’il existe sans aucun doute de nombreux autres mémoires concernant les questions cinématographiques, ils sont sans doute moins faciles d’accès.
Aucun des mémoires consultés n’a été produit dans un département travaillant spécifiquement sur le cinéma : ces ouvrages proviennent de départements d’économie et de départements de sciences de la communication. Cela semble attester le peu d’intérêt porté au mélodrame dans le cadre des études cinématographiques. Certains auteurs s’expriment dans une perspective idéologiquement marquée, soulignant qu’ils étudient des films de mauvaise qualité ne pouvant rien apporter à leur public, sans toutefois tenter d’en expliquer le succès. Cela montre qu’il est souvent plus commode de passer ces problèmes sous silence plutôt que de les poser, à défaut de les résoudre 8 .
La critique anglo-saxonne a largement contribué à renouveler la façon d’appréhender les genres cinématographiques, et en particulier le mélodrame à travers une riche réflexion sur le woman’s film ne faisant pas l’économie de considérations psychanalytiques donnant aux études génériques un éclairage nouveau 9 . Elles permettent notamment de dépasser l’impasse axiologique dans laquelle la critique et l’historiographie mélodramatique se sont longtemps enfermées, et n’hésitent pas à adopter un point de vue résolument féministe. Cela permet de formuler de nouvelles interrogations sur la représentation des personnages féminins dans le cinéma classique 10 . Les apports de cette nouvelle approche critique du mélodrame dans le contexte latino-américain sont considérables, en particulier dans les travaux de Julianne Burton-Carvajal qui s’est largement penchée sur le mélodrame mexicain pour en mettre en évidence les patrons culturels. Le mélodrame est traditionnellement associé à l’univers de la féminité, ce qui illustre l’ambivalence que pose le vocabulaire anglophone pour les gender studies. Le ‘«’ ‘ genre ’» renvoie à deux niveaux d’analyse, largement complémentaires dans le cas du mélodrame : le genre en tant que forme narrative et esthétique d’une part, mais aussi le ‘«’ ‘ genre ’» en tant que catégorisation sexuelle, où le masculin et le féminin se constituent dans une relation d’opposition. Ainsi, il n’est sans doute pas anodin de constater que l’analyse mélodramatique est liée à l’émergence de la critique féministe, et que les travaux les plus importants menés à bien à ce jour sur le mélodrame soient l’œuvre de femmes.
Les études sur le mélodrame sont désormais à l’ordre du jour en Amérique latine, et il convient de signaler ici notre dette à l’endroit de certains ouvrages qui ont alimenté notre réflexion. Les limites spécifiques de chacun d’ente eux nous ont encouragée à approfondir la problématisation amorcée dans ces ‘«’ ‘ recherches mélodramatiques ’».
Le travail pionnier de la brésilienne Silvia Oroz intitulé Melodrama, el cine de lágrimas en América latina, a été traduit en espagnol et publié au Mexique en 1995 11 . C’est un texte de référence pour qui veut aborder les études mélodramatiques dans le champ cinématographique en Amérique latine. Il brosse un panorama complet du genre, se traduisant dans les choix géographiques et chronologiques de l’auteur : non seulement elle s’attache à identifier les codes génériques à l’œuvre pour tout le continent, mais en plus elle remonte aux origines théâtrales et radiophoniques du mélodrame latino-américain, pour ensuite dégager les spécificités du mélodrame filmique. Si les remarques proposées sont souvent intéressantes, et justifiées par des exemples abondants et variés, les limites du travail proposé par Silvia Oroz, tirent leur origine de son ambition même : en choisissant de traiter un sujet aussi vaste dans une ouvrage relativement court, l’auteur se contraint bien souvent à en rester à un niveau d’analyse assez général. Cela conduit parfois Silvia Oroz à décrire des phénomènes davantage qu’à les analyser. Mais malgré ces réserves, cet ouvrage est le premier à tenter une synthèse du mélodrame latino-américain.
À Cuba, Nery Sellera, professeur de l’université de La Havane, a rédigé un travail intitulé El Melodrama y lo melodramático en el cine latinoamericano 12 . Dès son introduction, les problématiques posées montrent qu’elle compte étudier le genre non pas pour le juger mais pour en mettre au jour les mécanismes, en prenant en compte le rapport qu’il entretient avec le public : ‘«’ ‘ En América Latina, principalmente en México y Argentina, el melodrama se convierte no sólo en el producto más consumido por las clases populares sino en su único medio de vivir una experiencia de tipo artístico o cultural’ ‘ 13 ’ ‘. ’» Nery Sellera replace le phénomène cinématographique dans le contexte particulier de l’évolution des mentalités en Amérique latine au début du XXe siècle. Son étude se termine au moment où d’autres commençaient : à l’avènement de la révolution cubaine et la création de l’ICAIC. L’ensemble de la perspective historique qui sous-tend son travail dessine une forme de complément – sinon de rupture – avec les textes antérieurs. Les références ont changé : aux perspectives d’interprétation inspirées du marxisme, Nery Sellera préfère les points de vue plus ‘«’ ‘ personnels ’» ou ‘«’ ‘ sensibles ’» d’un Carlos Monsiváis ou de la critique féministe dont elle souligne l’influence déterminante dans cette modification du point de vue sur le mélodrame.
La dernière étude d’envergure sur le genre mélodramatique est celle de Marta Vidrio 14 , dont la démarche est complémentaire de celle de Silvia Oroz. Celle-ci proposait un cadre d’analyse général qui attendait d’être complété par des études plus contextualisées, aptes à montrer comment les catégories identifiées par Oroz s’actualisent dans les productions nationales. C’est ce que propose Marta Vidrio, comme le suggère le sous-titre de son ouvrage, El melodrama en el cine mexicano de los años treinta. Malheureusement, le contenu en apparaît décevant : les questions de méthode et de définitions ne sont aucunement posées. Ainsi, lorsqu’elle introduit sa typologie du mélodrame mexicain, elle affirme l’existence de ‘«’ ‘ sous-genres ’» de la façon la plus abrupte : au vu de la typologie proposée, Marta Vidrio semble considérer que leur identification se fonde exclusivement sur les aspects thématiques des films, ce qui semble pour le moins superficiel.
Les appartenances nationales de ces chercheuses ayant choisi le même objet d’étude à quelques nuances géographique près montrent que l’intérêt pour le mélodrame est un phénomène qui se propage à échelle continentale, mais il manque toujours au mélodrame mexicain une analyse contextuelle approfondie nous espérons par la présente étude contribuer à y remédier.
Paulo Antonio Paranaguá, Le Cinéma en Amérique latine : le miroir éclaté, historiographie et comparatisme, Paris, L’Harmattan, 2000, p. 30-31.
« À l’Université Nationale Autonome de Mexico (UNAM), un Département d’Activités Cinématographiques a été créé dès 1959, mais il dépend de la Direction de Diffusion Culturelle et n’a pas de vocation pédagogique à proprement parler : le Centre Universitaire d’Études Cinématographiques, destiné à la formation professionnelle, est fondé en 1963 », Ibid., p. 31.
Tous ces travaux sont référencés dans notre bibliographie, sous la rubrique « 6. 2. Travaux universitaires ». Du côté cubain, nous avons fréquenté la Cinémathèque de La Havane et l’École Internationale de Cinéma et de TéléVision (EICTV) de San Antonio de los Baños. Dans aucune de ces deux institutions nous n’avons pu trouver de travaux de recherches universitaires sur les questions liées au mélodrame cubain prérévolutionnaire. Cela est lié à la faiblesse de la production de l’époque, qui contraste fortement avec les expériences cinématographiques menées dans le pays après la création de l’Institu Cubain de l’Art et de l’Industrie Cinématographique (ICAIC). Mais ça n’est sans doute pas la seule explication. Il semble en effet que le poids de la ligne historiographique officielle ait joué un grand rôle, et nombre de chercheurs cubains s’étonnaient même de nous voir arriver de France pour mener des recherches sur un sujet considéré comme digne de peu d’intérêt. En fait, le seul travail que nous avons trouvé sur la question est celui d’un professeur de l’université de La Havane, Nery Sellera, qui a rédigé un ouvrage assez conséquent sur ce thème.
À l’exception de La Cabaretera en el cine mexicano durante el alemanismo (1946-1952), qui décrit de façon relativement satisfaisante le phénomène des rumberas dans le cinéma mexicain en tentant de relier le surgissement de ce personnage au contexte socio-politique de l’époque. Or, nous constatons que ce mémoire a été écrit avant d’autres, ce qui montre que cette démarche a mis du temps à s’imposer.
Laura Mulvey a largement contribué à ce renouveau, dans son article de 1975 « Visual pleasure and narrative cinema ». Sa démarche consiste à démasquer les logiques d’identification à l’œuvre dans le cinéma classique en fonction du sexe du spectateur. Elle distingue la scopophilie fondée sur le « plaisir d’utiliser une autre personne comme un objet de stimulation sexuelle passant par la vue », et le narcissisme, issu de « l’identification avec l’image vue », Women and the cinema, a critical anthology, New York, E. P. Dutton, 1977, p. 417. La traduction est de nous.
Abordant les « mythes féminins dans le cinéma », Claire Johnston met en évidence le fait que malgré son omniprésence sur les écrans à la période classique, la représentation de la femme est très problématique, Ibid.
Presses de l’UNAM, 186 p.
Nery Sellera, El Melodrama y lo melodramático en el cine latinoamericano, inédit, 52 p. L’auteur a eu la gentillesse de nous en confier un exemplaire photocopié lors de notre séjour à Cuba en 1998-1999.
Ibid., p. 2.
Marta Vidrio, El Goce de las lágrimas, Guadalajara, université de Guadalajara, 2001, 72 p.