III. Plan de l’étude

Le travail présenté s’articule autour de trois grands axes de réflexion pour mettre en évidence les logiques génériques. Dans un premier temps, la question de la définition des genres, dans le champ littéraire et dans le champ cinématographique, est au cœur de la réflexion. Dans un deuxième temps, à partir de la réflexion engagée, un corpus de films est constitué, puis envisagé dans une démarche thématique. Enfin, dans un troisième temps, la réception des films du corpus étudié est prise en compte.

Ce cadre général établi, quelles sont les étapes de notre raisonnement à chacun de ces moments ? Il convient de les préciser, car ce travail ne s’appuie pas sur une méthode scientifique unique, mais en mêle plusieurs, mobilisées en fonction des exigences de l’analyse.

La première partie pose le cadre théorique des études mélodramatiques. Sa démarche est en quelque sorte concentrique : partant de la définition la plus générale du mélodrame, nous nous rapprochons de l’objet de notre étude par des resserrements successifs. Le premier chapitre (1. 1. Origines littéraires du mélodrame) aborde la question générique dans son contexte d’émergence : le théâtre français des XVIIIe et XIXe siècles. D’un point de vue méthodologique, ce chapitre emprunte ses outils à la critique littéraire. Ce retour aux sources du genre apparaît indispensable, car le mélodrame parvient au cinéma précédé de toute une tradition esthétique et critique. Ce point de notre étude s’attache à définir la notion même de mélodrame en tant que genre. Une fois celle-ci établie, nous proposons une mise en évidence de deux grandes caractéristiques du genre qui, outre ses fondements esthétiques, perdurent dans le contexte cinématographique : d’une part, nous montrons comment le mélodrame est très tôt associé au champ de la paralittérature, ce qui permet d’en remettre en question la légitimité esthétique ; d’autre part, nous soulignons l’importance de la question du public dans l’émergence et la réception du mélodrame. Il s’agit de modes de définition et d’appréhension du mélodrame dont on pourra montrer qu’ils marquent largement sa réception au cinéma.

Une fois ces définitions et précisions mises en place, nous traitons dans le deuxième chapitre (1. 2. Mélodrame cinématographique et culture de masse) la mise en place des catégories génériques dans le domaine cinématographique. Cette fois, nos réflexions s’appuient sur des théoriciens du cinéma. Si en effet le mélodrame au cinéma est par bien des aspects le prolongateur de son antécédent théâtral, il convient de souligner que les logiques génériques au cinéma sont sensiblement différentes de celles analysées dans le champ littéraire. Nous décrivons dans un premier temps la formation des genres au cinéma, en les reliant à leur contexte de production. Une fois ce processus décrit, nous l’illustrons par une étude de cas permettant de montrer concrètement ce que nos analyses ont mis en place d’un point de vue théorique. Enfin, nous nous rapprochons davantage encore de l’objet de notre étude, en interrogeant les rapports entre culture populaire et cinéma dans le contexte mexicain et cubain : l’héritage mélodramatique est retravaillé par des références que l’on peut qualifier d’‘»’ ‘ autochtones ’», comme le théâtre vernaculaire, ou le feuilleton radiophonique.

Après avoir justifié les origines mexicaines du mélodrame sur le plan théorique, nous proposons dans le troisième chapitre d’en définir les caractéristiques concrètes (1. 3. Identification du mélodrame au Mexique). Nous replaçons dans un premier temps le mélodrame cinématographique mexicain dans son contexte précis de production. Pour y parvenir, nous nous référons largement aux études quantitatives menées par des historiens du cinéma, proposant des données chiffrées fort utiles pour comparer le poids des industries nationales, tant sur le plan de la production que de la diffusion. Ce cadre étant posé, l’esthétique mélodramatique mexicaine est dévoilée à travers une étude de cas : en comparant deux films ayant fait date dans l’histoire du cinéma mexicain (Madre querida, Juan Orol, 1935 et Los Olvidados, Luis Buñuel, 1950), nous pouvons monter pour quelles raisons le premier est considéré comme un mélodrame et l’autre non. Les différences constatées permettent de faire émerger les traits définitionnels du mélodrame mexicain, exposés dans le dernier point de ce chapitre sous forme synthétique, en prenant en considération des éléments structurels (le schéma actantiel occupe une large place dans ces réflexions) mais aussi thématiques.

Enfin, nous abordons un dernier élément, entrant à l’origine dans la définition du mélodrame, et remis au premier plan dans le contexte du cinéma mexicain : la musique, étudiée dans le quatrième chapitre (1. 4. Lecture musicale du mélodrame). Nous montrons de quelle façon cette tradition mélodramatique est réactualisée dans le mélodrame cinématographique mexicain sur un plan général. Ensuite, nous mettons en évidence les fonctions de la musique dans les films, à la fois dramatiques, esthétiques et commerciales. Enfin, nous établissons par l’élément musical un lien important entre le Mexique et Cuba, en montrant que les mélodies et rythmes mis en œuvre dans le mélodrame mexicain sont le plus souvent inspirés de genres musicaux cubains.

La deuxième partie de notre étude s’attache à dessiner les caractéristiques des coproductions mexicano-cubaines. Dans le premier chapitre (2.1. Émergence d’un corpus), nous mobilisons les réflexions théoriques menées antérieurement pour mettre au jour un corpus de films particulier, né de la rencontre entre les deux pays sur le terrain cinématographique.

Le deuxième chapitre (2. 2. La société mise en scène) étudie, sur le plan structurel, thématique et représentationnel de quelle façon les films proposent une image particulière de la société. Sur ce plan, le Mexique marque le corpus de son empreinte, en particulier à travers l’importance accordée aux structures sociales de nature patriarcale dans les films. L’apport cubain se mesure dans la récurrence de deux éléments importants, complètement absents de la tradition mélodramatique mexicaine : la présence de la communauté noire, et la mise en scène de ses pratiques religieuses.

Le troisième chapitre (2. 3. La femme fantasmée du mélodrame) pose la question du genre mélodramatique, non plus en tant que catégorie d’analyse formelle, mais en relation avec les genres sexuels. Les représentations féminines occupent une place de choix dans les films du corpus, ce qui permet de se demander s’il ne s’agit pas d’un genre typiquement féminin. Ce point met en évidence l’émergence du personnage de la rumbera, où s’incarne la patte cubaine. L’apparition de ce personnage a d’importantes conséquences en termes génériques, puisqu’il permet de dessiner un fort infléchissement du système des personnages précédemment établi.

Le quatrième chapitre (2. 4. Prétentions réalistes du mélodrame) aborde la question de la référentialité du genre, à travers la mise en place d’un système spatial particulier. L’ancrage géographique des films permet de montrer l’influence concrète de Cuba sur la pratique mélodramatique mexicaine : si les coproductions proposent des références à des lieux concrets, elles mettent en place une vision ‘«’ ‘ exotique ’» de Cuba et des tropiques, dont il convient d’évaluer les conséquences sur le plan générique.

Le cinquième chapitre (2. 5. Stratégies et doubles discours du mélodrame) montre comment, dans le corpus des films étudiés, une contradiction se fait jour entre le discours moralisateur caractéristique du mélodrame en général et de ces films en particulier, et des images qui au contraire célèbrent le corps féminin saisi dans toute sa splendeur à travers l’activité des rumberas.

Enfin, la troisième partie se consacre à la réception du mélodrame, élément fondamental dans la prise en compte du genre. Le premier chapitre (3. 1. Réception du mélodrame dans la critique contemporaine des films : le point de vue de leurs artisans) met en lumière la façon dont le corpus étudié est perçu par ses contemporains.

Le deuxième chapitre (3. 2. Le mélodrame à la question dans les années 1960) montre comment l’évolution dans la façon dont sont considérés les films dans les années 1950 se confirme et se radicalise dans la décennie suivante. Il s’agit d’une véritable rupture à Cuba, où une lecture idéologique des films prévaut à partir de 1959 et du triomphe de la révolution cubaine. Au Mexique, il s’agit davantage d’une transition, marquée par l’influence d’autres pratiques cinématographiques et l’émergence du ‘«’ ‘ nouveau cinéma ’» latino-américain dans les années 1960.

Le troisième chapitre (3. 3. Les films étudiés : un révélateur historiographique) propose une interprétation du statut du corpus en fonction des aléas de l’historiographie du cinéma dans chaque pays. Il souligne que la grande différence entre les deux tient au fait que les films font dans un cas partie de l’‘»’ ‘ âge d’or ’» du cinéma national, tandis que dans l’autre ils se trouvent exclus de la production nationale la plus prestigieuse. Cette différence de perspective permet de mieux comprendre pourquoi les films sont perçus de façon différenciée dans les deux pays.

Finalement, le quatrième chapitre (3. 4. Bilan de l’apport cubain sur le mélodrame mexicain) se présente comme une synthèse de l’ensemble de la réflexion proposée. Il met en évidence la façon dont un mode de production particulier – la coproduction – débouche sur la mise en place d’une esthétique originale, et la configuration d’un corpus de film qui ne recoupe exactement ni le mélodrame mexicain, ni le mélodrame cubain. Le rôle joué par Cuba dans ce processus est illustré par l’exemple de deux metteurs en scène mexicains dont la pratique cinématographique s’est modifiée lors de leur passage par Cuba. Enfin, pour répondre aux questions soulevées dans le début de la troisième partie, nous faisons le point sur le problème de la qualité des films, qui apparaît comme un élément supplémentaire de leur qualification générique. Ces considérations permettent de dresser un bilan général des analyses, en montrant qu’une différence s’établit, au sein de notre corpus, entre les coproductions au sens strict, et les films mexicains où l’influence cubaine se fait sentir. Nous proposons finalement une terminologie adaptée à chacun de ces ensembles, en fonction de la réélaboration des modèles génériques qu’ils proposent.