Aborder la définition d’un genre cinématographique en commençant par identifier ses origines littéraires ne va pas de soi. Raphaëlle Moine rappelle fort justement au début de son ouvrage sur les genres cinématographiques que les logiques génériques sont fort différentes dans le champ littéraire et dans le champ cinématographique. Elle va d’ailleurs jusqu’à suggérer qu’il s’agit de deux processus contraires dans leur mise en place :
‘Si, comme le remarque Jean-Marie Schaeffer, la question des genres littéraires tire son importance et sa légitimité théorique du fait qu’elle est historiquement liée, depuis Aristote, et plus encore depuis la fin du XVIIIesiècle, à celle de la définition de la littérature […], il n’en est pas de même pour le cinéma […] : la prédominance des genres dans les cinémas populaires et commerciaux ainsi que leur fort ancrage, économique et idéologique, dans la culture de masse, les rejette hors du champ artistique. Le genre cinématographique est donc une notion peu fréquentée parce qu’elle paraît peu fréquentable 15 .’Une étude théorique des genres au cinéma ne fait pas l’économie d’une allusion aux genres littéraires, pour établir un lien entre les deux et la distance qui les sépare. Par ailleurs, Raphaëlle Moine s’appuie sur des théoriciens des genres et sur des époques particulières, ayant marqué la recherche générique en littérature.
Posant le problème dans la perspective la plus générale, elle souligne que les genres cinématographiques, contrairement à leurs homologues littéraires, sont le plus souvent associés à des démarches commerciales, et de fait renvoyés dans le champ de la ‘«’ ‘ culture de masse ’». Or il s’agit d’un élément permettant de dessiner un parallèle entre le mélodrame littéraire et cinématographique. Il s’agit d’un genre critiqué en termes de qualité dès son apparition sur la scène française au XIXesiècle. Ainsi, le mélodrame cinématographique hérite du littéraire non seulement sa configuration esthétique générale, mais aussi un rapport très particulier avec le public et la critique.
Mais notre propos ne consiste pas seulement à souligner des filiations et des divergences entre les genres littéraires et cinématographiques sur un plan général. En
effet, dans le cas du mélodrame, il convient de souligner d’emblée que c’est un genre certes investi par le cinéma, mais héritier d’une longue tradition dramatique avant l’apparition de ce nouveau medium qu’est le cinématographe. Il apparaît ainsi utile de revenir sur les origines littéraires du mélodrame, car elles contribuent largement à la définition du genre lorsque celui-ci est transposé sur les écrans. Raphaëlle Moine observe d’ailleurs que :
‘[…] l’abondance de formules mélodramatiques cinématographiques est à mettre en relation avec les différentes formes du mélodrame auxquelles le XIXesiècle, avant et hors cinéma, a donné naissance en Europe et en Amérique : la polysémie culturelle du genre cinématographique s’ajoute en quelque sorte à celle du genre littéraire, théâtral ou opératique 16 .’La plupart des ouvrages étudiant des genres cinématographiques héritiers de genres littéraires adoptent une démarche identique, en montrant comment l’apparition du genre cinématographique doit être pensée en termes d’héritage et d’adaptation 17 . C’est précisément ce que nous nous proposons de faire dans le présent chapitre.
Raphaëlle Moine, Les Genres du cinéma, Paris, Nathan, 2002, p. 6-7.
Ibid., p. 147.
Nous pouvons rappeler ici pour mémoire que l’ouvrage de François Guérif sur le film noir commence par une série de définitions du roman noir américain, tout comme les études de Silvia Oroz ou Martha Vidrio débutent par un rappel des antécédents littéraires du mélodrame. Voir François Guérif, Le Film noir, Paris, Henri Veyrier, 1979, 286 p. ; Silvia Oroz, op. cit.,« Articulación del melodrama », p. 21 et ss. ; Martha Vidrio, op. cit., p. 11-14.