III C. Un univers sous tension : analyse structurelle

Nous allons à présent tenter de formaliser dans un tableau synthétique la structure du mélodrame à partir de son système des personnages, que nous compléterons dans un deuxième temps en précisant les investissements thématiques dont ils sont porteurs.

Ce tableau prend en compte l’état des rapports de force entre les personnages et leur évolution chronologique. Nous montrerons ensuite comment ce cadre général s’applique concrètement à chaque œuvre particulière.

Tableau 6 : Le système des personnages du mélodrame
Tableau 6 : Le système des personnages du mélodrame

Nous pouvons à présent expliciter le contenu de ce tableau synthétique à l’aide d’exemples pris parmi les films choisis. Sans détailler l’ensemble de chacun des films, nous illustrerons chaque étape et chaque configuration mise au jour dans le tableau par sa traduction concrète.

En ce qui concerne la situation initiale, tous les films laissent apparaître qu’au départ, l’univers représenté ne semble pas connaître de conflit particulier. Santa et La Mujer del puerto mettent en scène une histoire d’amour qui n’apparaît pas problématique dans un premier temps. Dans Aventurera et Cuando los hijos se van, le film commence par mettre en scène une famille unie. María Candelaria présente, après l’introduction du récit par le peintre, María en train de se livrer à la vente de fleurs.

Pourtant, nous avons qualifié ce premier moment comme stable seulement ‘«’ ‘ en apparence ’». En effet, dans les deux premiers cas, l’histoire d’amour que vivent les jeunes filles est à l’origine de leur ‘«’ ‘ déchéance ’», parce qu’elle est inacceptable selon la norme sociale incarnée par les frères de Santa ou le père de Rosario. De leur point de vue pourtant, la condamnation dont elles sont l’objet est ‘«’ ‘ injuste ’» : pour Santa qui s’est en réalité laissée abuser par son amant sans scrupules ; comme pour Rosario dont le père meurt des suites d’une altercation avec l’amant de sa fille, qui en outre la trompait ouvertement. Les deux jeunes femmes apparaissent comme des ‘«’ ‘ victimes ’», statut qui les fait sombrer dans la prostitution. Dans Aventurera, Elena ne peut vivre son amour avec Lucio car ses parents le lui interdisent, et son destin bascule à la suite du suicide de son père qui a découvert que sa femme le trompait 226 . Celle-ci s’étant enfuie du foyer familial, Elena se trouve démunie et devient la proie idéale de toutes les convoitises. Dans Cuando los hijos se van, la figure de la victime est incarnée par un personnage masculin, ce qui n’affecte pas son statut dans la narration. Raimundo subit les calomnies de ses frères tout au long du film, ainsi que l’incompréhension de son père. Le ‘«’ ‘ monde des valeurs ’» devient ‘«’ ‘ coupable ’» des torts faits à la victime. Dans María Candelaria, le couple formé par les deux Indiens apparaît comme la victime des préjugés de la communauté villageoise et du notable local don Damián, qui exerce sur María une pression sexuelle pour le moins intense. Dans tous les cas, le conflit est généré par le désir d’un ou plusieurs personnages, qui bat en brèche la stabilité originelle d’un monde harmonieux.

L’incarnation de la figure de l’‘»’ ‘ adjuvant ’» dans les films est relativement bien partagée. Si l’on considère les deux films se ressemblant le plus, on peut préciser la différence établie entre l’adjuvant ‘«’ ‘ externe ’» et l’adjuvant ‘«’ ‘ interne ’» à la victime. Dans Santa, l’adjuvant est incarné par le personnage du pianiste aveugle qui reste fidèle à la jeune femme malgré sa déchéance sociale et physique. Dans La Mujer del puerto, si Rosario connaît un destin parallèle à celui de Santa puisque ses amours illégitimes aux yeux des représentants de la loi et la mort de son père l’ont conduite à la prostitution, le revirement final n’est pas la conséquence de l’intervention d’un autre personnage désintéressé mais au contraire de la prise de conscience de l’acte monstrueux qu’elle vient de commettre : l’inceste avec son propre frère qu’elle avait pris pour un simple client, et qui ignorait également cette situation.

Quant au dénouement, là encore les situations sont contrastées, sans remettre en cause l’appartenance générique des films. Dans Santa, La Mujer del puerto et María Candelaria, le film se termine par la mort de l’héroïne qui laisse derrière elle au moins un personnage aux yeux duquel elle est complètement réhabilitée. Dans Aventurera et Cuando los hijos se van, la victime peut réintégrer un groupe social auquel elle a finalement réussi à prouver son innocence, et cela lui permet d’être innocentée par les personnages qui l’avaient injustement condamnée.

Ce modèle fonctionne donc bien à l’intérieur des films, mais il convient à présent de le compléter avec une analyse des contenus thématiques à l’œuvre.

Notes
226.

La figure d’une femme adultère est originale, et nous y reviendrons dans notre deuxième partie en analysant le traitement des figures féminines dans ces mélodrames.