Dans sa thèse de doctorat sur la comedia ranchera, Marina Díaz López se penche sur les origines de la musique populaire mexicaine. Elle en isole les différents courants, ainsi synthétisés :
‘Tres son las composiciones musicales que preceden a la sistematización de la canción en la que intervienen los músicos antedichos: el son, con todas sus variedades regionales; el jarabe como danza por excelencia; y el corrido, como forma musical narrativa y épica. A éstas hay que añadir la canción campirana que se desarrolla durante el XIX y al abrigo de la fuerte tradición pianística de carácter romántico 272 .’Outre deux formes musicales autochtones, elle fait référence au son, un genre typiquement cubain. Elle insiste en outre sur le rôle éminent joué par la radio et l’industrie discographique dans la diffusion de cette musique mexicaine. Cette volonté de diffusion est le résultat d’une authentique ‘«’ ‘ politique ’» visant à légitimer une forme de conscience nationale mexicaine dont la musique originale doit être un des vecteurs essentiels : ‘«’ ‘ Del casi 62% de ocupación musical de los programas nocturnos en las emisoras vinculadas con el gobierno, el 20% estaba dominado por música mexicana en su caracterización como ‘popular’, dejando un 8% a la música popular internacional’ 273 . »
Au Mexique, la musique se constitue non seulement en objet esthétique, mais aussi et peut-être surtout en un puissant outil idéologique dans un processus d’affirmation de l’identité nationale. Toutefois, Marina Díaz le rappelle longuement, la musique mexicaine, qui comporte des genres originaux, se trouve à la croisée de divers réseaux d’influences où se mêlent les musiques et chants indigènes, la tradition hispanique de la colonie, et les sonorités cubaines. Ce dernier élément intéresse le plus directement notre étude, car nos films ont plus largement recours à des formes musicales directement héritées de la tradition cubaine qu’à des genres musicaux nationaux. Les films incluent des chansons, mais d’une nature bien différente de celles de la comedia ranchera. Les plus représentées sont les chansons romantiques, fruit de l’héritage musical cubain, et qui ont fleuri dans la péninsule du Yucatán, sans doute du fait de la proximité géographique entre cette région du Mexique et Cuba, si l’on en croit Yolanda Moreno Rivas :
‘La cercanía de la isla de Cuba con la península ocasionó una estrecha relación y un juego de influencias de ida y vuelta que determinó no pocas de las formas y ritmos preferidos por los cancioneros y guitarristas de Yucatán. De La Habana llegaban con frecuencia conpañías de revistas ‘bufo-cubanas’, que traían en su repertorio danzones, guarachas, puntos cubanos, puntos guajiros y rumbas 274 .’Un peu plus loin, elle décrit la transformation de ces influences réciproques, montrant comment les Mexicains adoptent progressivement d’autres rythmes. Ainsi, le boléro cubain s’impose dans les années 1920, ‘«’ ‘ como una transformación más rápida y viva de las antiguas danzas lentas, se adaptaba a las necesidades expresivas de los compositores’ 275 . »
L’influence cubaine est palpable, à travers des titres précis qui ont débouché sur une transformation des pratiques musicales mexicaines, du moins en ce qui concerne la chanson sentimentale : ‘«’ ‘ De 1920 al 22 llegan dos boleros que hacen época: ‘Quiéreme mucho’, de Gonzalo Roig, y ‘Si llego a besarte’, de Luis Casas Romero. Estos dos últimos fueron capaces de transformar la vieja danza mexicana, derivada también de la contradanza afrocubana’ 276 . » Les influences cubaines apparaissent déterminantes sur la musique mexicaine, puisque les deux nouveaux boléros parviennent finalement à modifier des pratiques musicales antérieures, elles-mêmes héritées de la musique cubaine.
La forme de boléro s’imposant progressivement au Mexique est à la fois l’accompagnement et la substance des films, l’élément sans lequel ils seraient tout à fait différents, tant sur le plan esthétique que thématique. C’est pourquoi nous leur assignons une importance qui va bien au-delà d’une simple fonction ornementale, même si celle-ci n’est pas absente. Iris M. Zavala exprime parfaitement ce pouvoir du boléro, que les films ne se privent pas de mettre en œuvre :
‘La palabra humana, la poesía de los sentidos es lo importante; la instrumentación se mantiene al fondo, como acompañamiento del mensaje. La música – guitarra o piano – es sólo el trasfondo que hace estallar la palabra en la entonación de una voz. La voz es el vehículo de expresión, una lírica melosa y almibarada en instrumentación lenta: sólo la voz, todo detalle de disimulo o distracción se acalla, la percusión marca el ritmo lento, lento, lento 277 .’Cette présence de la voix, en même temps présence corporelle, est au cœur de la stratégie de séduction des films. La notion de performance physique, liée aux passages chantés et chorégraphiés, met en valeur l’importance stratégique de la musique en général et des chansons en particulier dans les films. Celles-ci sont comme douées d’une existence autonome dans le flux narratif, rendue possible par la qualité et la popularité de leurs interprètes.
Marina Díaz López, La Comedia ranchera como género nacional del cine mexicano, 1936-1952, thèse de doctorat, Madrid, Universidad Autónoma de Madrid, 2002, p. 815.
Ibid., p. 826.
Yolanda Moreno Rivas, Historia de la música popular mexicana, Mexico, Alianza editorial, 1979, p. 102.
Ibid., p. 126.
Pablo Dueñas H., Historia documental del bolero mexicano, Mexico, Asociación mexicana de estudios fonográficos, 1990, p. 17.
Iris M. Zavala, El Bolero, historia de un amor, Madrid, Alianza editorial, 1991, p. 28.