La radio a joué un grand rôle dans l’avènement de nouvelles formes narratives, qu’il s’agisse du feuilleton radiophonique ou de la chanson. Cette dernière permet à de nombreux artistes cubains de connaître le succès au Mexique, comme le souligne un article consacré à la radio mexicaine :
‘La isla caribeña, ese laboratorio de música, estaba representada por cantantes y compositores que hicieron una verdadera época en México […]. Muchos músicos cubanos emigraron a México para anclar sus vidas en este país, y después de muchos años, retornar famosos a la isla, por la simple razón de que las ondas hertzianas de XEW y XEWW onda corta así lo permitieron 287 .’Parmi les musiciens et chanteurs ayant le plus contribué à populariser au Mexique la chanson populaire cubaine, quatre femmes incarnent parfaitement l’assimilation par le cinéma mexicain d’interprètes d’origine cubaine : il s’agit des rumberas María Antonieta Pons, Amalia Aguilar, Ninón Sevilla et Rosa Carmina. Ces quatre Cubaines ont joué dans de nombreux films exploitant leurs talents de danseuses de charme auprès d’un public aux yeux duquel elles incarnent une sensualité toute tropicale. De façon significative, Fernando Muñoz Castillo les a baptisées las reinas del trópico, dans son ouvrage portant ce titre, comme si ces actrices étaient emblématiques de l’atmosphère ‘«’ ‘ tropicale ’» et sensuelle mise en scène à satiété dans des films ayant pour décor des cabarets… ‘«’ ‘ tropicaux ’» eux aussi. Le qualificatif est ainsi peu à peu détaché de son contexte précis pour devenir une sorte d’absolu de la sensualité, comme le suggère Muñoz Castillo :
‘Las rumberas pertenecen a esta conceptualización de lo femenino, que lo popular urbano asoció con la idea de lo ‘tropical’. Y fueron estos miles de fieles quienes las trasmutaron en objeto de culto y obligaron, sin ellas pretenderlo, a encarnar a sus personajes y trascenderlos para, así divinizadas, poder codificarlas más allá de la cosmogonía cinematográfica del siglo XX mexicano 288 .’Ainsi, María Antonieta Pons est qualifiée de ‘«’ ‘ ciclón del Caribe ’», pour reprendre le titre d’un film dans lequel elle a tourné en 1950, et décrite en des termes frôlant le cliché : ‘«’ ‘ Su perfume de nereida caribeña invade el recuerdo y repleta el alma con olor a flores y frutas exóticas’ 289 . »
En ce qui concerne Ninón Sevilla, elle nous livre un intéressant témoignage sur la façon dont elle considère la rumba :
‘Ahora, que me copiaran me encantaba, porque has de saber que todas, todas, bailaron o quisieron bailar rumba en el cine. Y que la rumba es cultura, la rumba es cultura, porque es la música de mi país, la del pueblo. La rumba no te la bailaba la gente de dinero, la bailaba la gente del pueblo.Ces quelques phrases montrent le rapport naturel que l’actrice entretient avec la danse, ce en quoi elle est fidèle à la tradition de son pays, Cuba : les chorégraphies sont avant tout une question de sensation et d’improvisation, comme le suggérait Odette Casamayor.
Enfin, il convient de se pencher sur le cas de Rosa Carmina qui fut, tout comme María Antonieta Pons, une actrice emblématique des films de Juan Orol. D’emblée, l’actrice se présente comme l’élève de son mentor : ‘«’ ‘ La escuela mía es la escuela de Juan Orol; fue el mejor maestro que yo pude tener en la vida; todo lo que yo sé, él me lo enseñó’ 291 . » Ainsi, les numéros exécutés par Rosa Carmina sont conformes à l’image très particulière que se fait le metteur en scène de la danseuse de rumba :
‘Para él la rumbera, la mujer rumbera tenía que ser bonita y tener buen cuerpo, muy buena pierna, buen busto, cintura, nada de barriga; pero eso sí, caderona, pues según él lo demás se podía aprender.Le caractère communicatif des rythmes de la rumba est affirmé par l’actrice, qui a également tout à fait conscience de la dimension érotique des chorégraphies auxquelles elle se livre.
Ces quatre rumberas sont complètement intégrées au contexte cinématographique mexicain, puisqu’elles sont considérées dans une publication récente comme ‘«’ ‘ las rumberas del cine mexicano’ 293 », formulation qui évacue la référence à leur patrie d’origine pour ne retenir que celle dont elles ont à leur manière marqué le paysage culturel. Dans la page introductive à ce numéro spécial, un projet se dessine sous la plume d’Enrique Rosado 294 : proposer au lecteur un bilan rétrospectif sur ces actrices qui ont eu une importance non négligeable dans le cinéma mexicain. On peut observer un certain décalage entre l’intention et le résultat : l’auteur souhaite ‘«’ ‘ resumir sus carreras y personalidades ’», et ce que nous lisons confirme le fait que la ‘«’ ‘ personnalité ’» de ces femmes est perçue selon des critères essentiellement physiques. Ainsi, il est dit d’Amalia Aguilar :
‘De inmediato, Amalia conquista a quienes se quedan hipnotizados ante la sana picardía y la intención erótica – si es que se pueden mezclar estos dos elementos – cuando la cámara emplaza los close ups del rostro de la Aguilar y éstos son alternados con los medium-shots que captan los inquietantes movimientos de la extraordinaria bailarina.’Ce texte dit de lui-même où se situe la ‘«’ ‘ personnalité ’» de l’actrice qui devait faire l’objet de ces commentaires. Le procédé se poursuit dans les lignes consacrées à María Antonieta Pons : ‘«’ ‘ La forma de mover la parte trasera de su anatomía la convierte en un cheque de muchos dígitos que se puede cobrar en la taquilla de cualquier sala cinematográfica’. » L’influence et les traits marquants de ces artistes se mesurent à l’aune de leurs mensurations et des succès commerciaux des films dans lesquels elles ont joué, ce qui confirme les témoignages sur la fascination qu’elles ont pu exercer sur le public.
L’adoption par le cinéma mexicain de ces rumberas montre qu’elles ont sans doute été des ambassadrices de la culture cubaine au Mexique, du moins en ce qui concerne la musique et la danse. Même si elles ont véhiculé une image de Cuba qui confine le plus souvent à de vagues clichés sur la supposée sensualité inhérente à l’atmosphère tropicale, largement exploitée dans les films, elles ont su populariser dans le pays voisin des éléments originaux de la culture cubaine.
Dans un travail inédit à ce jour, des chercheurs mexicains et cubains s’interrogent sur les relations entre Cuba et le Mexique sur le plan cinématographique, et le phénomène des danseuses de rumba occupe une bonne place dans leur réflexion. Leurs analyses confirment que la vision de Cuba et de l’atmosphère tropicale diffusée par ces films est largement plus fantasmée que réelle, ce qui explique selon eux le fait que les films de rumberas aient eu davantage de succès au Mexique qu’à Cuba : là, ils faisaient appel à tout un imaginaire tandis qu’ici ils ne mettaient en scène qu’une forme de réalité bien connue de tous. Nous leur laissons donc la conclusion provisoire :
‘Las rumberas fueron expresión de su tradición musical e incorporaron la herencia cultural que les tocó por nacimiento y origen, de lo que no queda duda al verlas moverse y bailar […].« Cancioncita que brotó como beso de mujer », Somos uno, Mexico, Televisa, 1er septembre 2001, année 11, n°199, consacré à « XEW, la catedral de la radio, 70 aniversario », p. 27.
Fernando Muñoz Castillo, Las Reinas del trópico, Mexico, Azabache, 1993, p. 14.
Ibid., p. 24.
Ibid., p. 163.
Ibid., p. 211.
Ibid., p. 212.
Il s’agit du titre d’un numéro de la revue Somos, Mexico, Televisa, n°189, 1er novembre 1999, 102 p.
Ibid., p. 5.
Historia de un gran amor. Relaciones cinematográficas entre Cuba y México, 1896-1996, de Eduardo de la Vega Alfaro, María Eulalia Douglas, Marco Ulises Íniguez Mendoza, Ivo Sarría, Juan Carlos Vargas Maldonado et Sara Vega Miche, inédit, p. 24.