II C. Corpus de films de cabaret au Mexique et à Cuba

Avant d’énumérer les films sur lesquels se fondent nos analyses, il convient de préciser les critères ayant présidé à leur sélection, tant à Cuba qu’au Mexique. Dans le premier cas, le choix est relativement simple, en particulier pour des raisons matérielles. La production cinématographique prérévolutionnaire étant réduite sur le plan quantitatif, le nombre de films pris en charge ne risque pas d’atteindre des niveaux démesurés : seules quatorze coproductions mettant en scène les milieux du cabaret, et il ne nous a pas été possible de toutes les visionner au cours de nos recherches. Or, nous avons choisi de n’étudier que des films que nous avons pu voir, ce qui limite d’emblée ce corpus. Ainsi, sur les quatorze films, nous pouvons en traiter sept, soit exactement la moitié. Le choix est dicté par des impératifs pratiques, mais trouve également sa justification sur le plan du genre : la lecture de résumés des films que nous n’avons pas vus indique que leur contenu est sensiblement identique à celui des films présents dans le corpus, ce qui signifie bien que l’on peut les rattacher au même genre.

Du côté mexicain, la production étant largement plus importante qu’à Cuba, il a fallu opérer de véritables choix afin de ne pas alourdir démesurément le corpus. Il est en effet apparu préférable de travailler sur un nombre plus réduit de films : l’analyse générique ne saurait en pâtir, puisqu’elle met en évidence des points communs et divergences entre tous les films envisagés. Les remarques ou définitions proposées forment le cadre générique global dans lequel s’insèrent les films : celui-ci peut être légèrement infirmé par un exemple concret sans que cela remette nécessairement en question son appartenance au genre. Pour étudier les films mexicains marqués par l’emprise des ‘«’ ‘ tropicosas ’», nous avons orienté nos choix dans deux directions complémentaires : d’une part, des films ayant fait date dans l’histoire du mélodrame mexicain (Aventurera en est un excellent exemple) ; d’autre part, des films dont la postérité est moindre, mais qui sont représentatifs de la nouvelle esthétique mise en place.

Tous ces films forment un corpus de mélodrames de cabaret marqués par trois tendances principales. Nous pouvons dégager un premier sous-ensemble, constitué par les films élaborant la figure de la prostituée, qui la dotent d’un certain nombre de traits dont elle ne se départira plus.

D’autres films sont comme autant d’avatars de cette première série, où l’influence cubaine se fait sentir. Ils dessinent toutefois une évolution puisque dans leur cas, le cabaret se constitue comme l’espace où les personnages féminins peuvent mettre en place de véritables stratégies de carrière, visant à les faire accéder au luxe et à la célébrité : le film Coqueta déjà évoqué en est un bon représentant, ainsi que d’autres œuvres proposant la mise en scène d’histoires de succès et de décadences de danseuses de cabaret : Ambiciosa, d’Ernesto Cortázar (1952), peut être considéré comme une mise en abîme dans le film lui-même de la trajectoire des actrices cubaines. Le film raconte en effet l’histoire d’une jeune cubaine rêvant de gloire dans le monde du spectacle, et se rendant au Mexique afin d’assouvir ses ambitions, tout comme l’ont fait les rumberas cubaines en partant chercher fortune au Mexique. Un film comme Viajera, d’Alfonso Patiño Gómez (1951), avec Rosa Carmina, propose une intrigue similaire. Dans No me olvides nunca, de Juan José Ortega (1956), film dont l’action se situe à La Havane dans les milieux du cinéma, les deux personnages principaux sont une vedette cubaine et un chanteur mexicain, dont l’histoire d’amour est dans un premier temps inventée à des fins publicitaires avant de devenir réalité.

Une autre série de films, dessinant une deuxième catégorie parmi les films de cabaret, est composée de ceux mettant en scène des ‘«’ ‘ visages de femmes ’», à travers trois cas précis : Hipócrita, de Miguel Morayta (1949), Piel canela, de Juan José Ortega (1953), et La Mujer marcada, de Miguel Morayta (1957). Le premier et le dernier film ayant été tournés par le même metteur en scène, ils offrent des possibilités de comparaison intéressantes. Quant au deuxième, il s’agit d’une coproduction mexicaino-cubaine ayant pour protagoniste l’actrice espagnole Sara Montiel. La situation relative des trois films, dans le temps ainsi que dans leur statut même en tant que productions, fait de cet ensemble un intéressant outil dans le cadre d’une étude comparative.

Enfin, une troisième catégorie peut être trouvée dans des films mettant en scène les péripéties de la vie d’une jeune femme quittant sa campagne natale pour se rendre à la capitale et finir comme danseuse dans un cabaret. Dans de telles productions, l’image de la société proposée fera l’objet d’une analyse détaillée. Dans El Amor de mi bohío, de Juan Orol (1946), l’action se situe dans un premier temps dans la campagne cubaine. La jeune Rosa Inés, suite à diverses péripéties dans sa vie amoureuse, quitte l’espace rural pour se rendre à La Havane où elle triomphe comme actrice de cabaret, avant de retrouver finalement son amant qui avait disparu. Dans El Ciclón del Caribe, de Ramón Pereda (1950), nous assistons à la transformation progressive de la jeune María Elena qui passe du statut de gentille fiancée à celui de vedette de cabaret connaissant un immense succès à Mexico, après avoir failli se retrouver à travailler comme prostituée comme Elena dans Aventurera. Dans Thaimí, la hija del pescador, de Juan Orol (1958), l’héroïne vit dans un village au bord de la mer, en harmonie avec la communauté et les éléments. L’arrivée d’un homme extérieur qu’elle recueille la conduit sur les scènes havanaises, avant qu’elle ne décide finalement de rejoindre son espace originel.

L’analyse comparée de ces films permettra de faire apparaître la pertinence ou non de ces sous-groupes thématiques, et de voir s’il existe une différence marquée sur le plan générique entre les films mexicains et les coproductions authentiques. La part des films mexicains tend à diminuer dans les films prenant en charge l’histoire et la culture cubaines, dont nous allons à présent proposer un corpus raisonné.