III. Renouveau thématique

Une remarque s’impose, scellant une importante différence entre le groupe des mélodrames de cabaret et ceux que nous allons à présent aborder, où une plus large place est accordée au traitement de l’histoire et de la culture cubaines. Dans le premier ensemble délimité, la prégnance de phénomènes culturels cubains se situe sur le plan de l’atmosphère : paysages, tropiques, musique, danseuses et actrices. Si tous ces éléments attestent une présence cubaine non négligeable à l’écran, celle-ci est assez diffuse, et ne repose pas toujours sur des éléments faisant explicitement le lien avec Cuba. Le travail de l’analyste consiste à chercher à les mettre en lumière pour voir comment ils effectuent un véritable travail sur le mélodrame mexicain.

Dans le deuxième groupe, la situation est fort différente : la présence cubaine est explicitement mise en images, tout d’abord parce qu’il s’agit de films tournés à Cuba, dans des paysages clairement identifiables. Cela était déjà vrai de quelques films du groupe précédent, mais cette tendance se généralise dans le deuxième cas. Cet état de fait n’est sans doute pas le fruit du hasard, et si l’on observe les conditions de production des films, on constate rapidement que c’est justement dans le deuxième groupe que les coproductions formelles sont les plus nombreuses, et la mise en scène de thématiques spécifiquement cubaines s’impose. En termes d’analyse, la problématisation est dans ce cas quelque peu différente de ce qu’elle était dans les films du groupe précédent : il ne s’agit plus de rechercher et d’évaluer la présence cubaine à l’écran, puisqu’elle se laisse cette fois saisir de façon beaucoup plus immédiate, mais de mettre au jour les stratégies de représentation que de tels films impliquent. Ainsi, une fois les références dégagées, on pourra s’interroger sur le réalisme de ces représentations, en particulier dans les films mettant en scène des reconstitutions historiques ou ethnologiques, pour les films s’intéressant aux pratiques religieuses et artistiques afro-cubaines par exemple. Sur l’ensemble des coproductions recensées par María Eulalia Douglas, les films mettant en scène des thématiques cubaines sont au nombre de 8, soit environ un tiers du total. Il s’agit donc d’une tendance importante dans les coproductions, dont il convient d’évaluer les conséquences en termes de genre.

La différence entre les deux groupes est importante, mais dans tous les cas les analyses renvoient à une même démarche : voir dans quelle mesure l’image de Cuba proposée est une recréation à partir de la réalité, pour mesurer comment agit le mélodrame en tant que structure sur la narration. De cette façon, nous essaierons de dégager les modifications qu’a pu connaître le genre défini au Mexique au contact d’une réalité autre.

Dans cette optique, il est intéressant de se pencher sur le cas des films occupant une position transversale. Pour nombre d’entre eux, ils ne se réduisent pas à leur appartenance à un seul des groupes mis en place. Un film comme Aventurera est emblématique du traitement de la figure de la prostituée dans les films, mais il met en même temps en scène la trajectoire d’un personnage féminin de la province – substitut d’une origine rurale – vers la ville. La Mesera del café del puerto traite à la fois le personnage de la danseuse et celui de la femme mutilée. Par ailleurs, tous les films rangés sous la désignation ‘«’ ‘ visages de femmes ’» mettent également en scène des danseuses. Nous pourrions multiplier les exemples, qui sont d’ailleurs tout aussi nombreux pour notre deuxième catégorie : un film comme Sandra, la mujer de fuego se présente d’abord comme un mélodrame de cabaret insistant sur les relations amoureuses d’une danseuse – élément dont le film ne se départira jamais vraiment – avant de se plonger dans la campagne cubaine, ses rites et croyances, ses danses. Ces catégories, opératoires pour démêler la façon dont se construisent certaines images, sont toutes relatives.