Chapitre 2. La société mise en scène

Le mélodrame s’attache largement à mettre en scène des conflits de nature sociale, et les films envisagés n’échappent pas à cette règle. Dans cette incessante recherche de l’émotion que suppose l’écriture mélodramatique, le statut social des personnages joue un rôle fondamental, souligné par Silvia Oroz :

‘Las historias contadas tienen una característica esencial: la faltla de ambivalencia que no permite dudas sobre la moral de la misma […].
Dichas historias se narran a través de personajes esquemáticamente divididos entre buenos y malos […].
A través de esas personas comunes parecidas al público en su escala de valores y situación económica, es como la proyección y emotividad se articulan bajo una forma hipersensible que cubre el esquematismo de las historias y los personajes 340 .’

Dans les mélodrames, la société elle-même et les différents groupes qui la composent sont largement mis en scène. Or, si la caractérisation des personnages et la mise en place de la thématique font largement appel à des stéréotypes, les représentations sociales fonctionnent sur le même mode. La définition des représentations sociales proposée dans le champ de la sociologie par Jean-Marie Seca autorise ce parallèle :

‘Du fait de leur caractère générique et de leur spécificité de ‘poches de savoir’ disséminées […], les représentations sociales sont des sources de légitimation des conduites et des prises de position particulières. Elles peuvent fournir des connaissances, des valeurs, des explications pour maintenir une habitude, favoriser une discrimination, justifier une inégalité ou un événement extraordinaire […]. Ici, les représentations sociales sont probablement consécutives ou parallèles aux pratiques discriminantes. Elles voisinent avec des notions de stéréotype, de préjugé ou de valeur 341 .’

Cette définition montre que l’univers mélodramatique est cohérent, puisqu’il met en place un réseau de signes facilement reconnaissables, tant dans ses traits discursifs – le genre, comme tout phénomène ‘«’ ‘ paralittéraire ’», peut être comparé dans son fonctionnement au stéréotype – que dans la mise en place de sa thématique.

Les films offrent l’image d’une société particulièrement cloisonnée, servant un projet de légitimation des structures en place, et l’élaboration de cette représentation fait écho aux leçons du dénouement. Dans cette perspective, le mélodrame a sans doute beaucoup à nous apprendre sur les préjugés et modes de représentation que les sociétés qui les regardent se faisaient d’elles-mêmes, comme le suggère Marc Ferro :

‘L’hypothèse ? Que le film, image ou non de la réalité, document ou fiction, intrigue authentique ou pure invention, est Histoire. Le postulat ? Que ce qui n’a pas eu lieu, les croyances, les intentions, l’imaginaire de l’homme, c’est autant l’Histoire que l’Histoire 342 .’

En observant comment la société est mise en images dans les films de fiction constituant notre corpus, on peut formuler quelques hypothèses sur la façon dont celle-ci se considère.

Notes
340.

Silvia Oroz, Melodrama, el cine de lágrimas en América latina, p. 77-78.

341.

Jean-Marie Seca, Les Représentations sociales, Paris, Armand Colin, 2001, p. 70.

342.

Marc Ferro, Analyse de film, analyse de société, Paris, Hachette, 1975, p. 10.