Les figures féminines semblent être les plus à même de s’incarner dans le personnage de la victime, en particulier dans la mesure où la féminité et la jeunesse sont des éléments pouvant prédisposer un personnage à remplir une telle fonction. Ces signes de fragilité se trouvent mis en évidence lorsque les barrières protectrices – familiales en particulier, comme dans le cas de d’Aventurera ou Thaimí, la hija del pescador – s’effondrent. Pourtant, la femme est tenue pour responsable de ce qui lui arrive, même lorsque son destin pathétique est précipité malgré elle. Il s’agit d’une situation directement héritée du mélodrame théâtral, décrite par Léon Metayer :
‘L’héroïne n’a jamais d’excuse, que sa faute soit volontaire ou non : s’exposer à un risque, c’est déjà transgresser les règles, et donc être au moins complice. Une femme prise est une femme qui s’est donnée, donc une courtisane, et elle doit payer. Cela est vrai même quand il ne s’est rien passé, il suffit que les apparences soient contre elle […]. Qu’il s’agisse d’une femme que la faim pousse à se laisser entretenir, d’une pauvre paysanne ou d’une ouvrière fascinée par le prestige d’un noble, d’une mère qui cherche à sauver ses enfants ou d’une aventurière décidée à tout pour s’élever dans le monde, la faute est la même, et le châtiment doit être aussi dur. Pour la femme, évidemment, car la responsabilité de l’homme et sa punition éventuelle sont rarement évoquées 382 .’Les personnages féminins apparaissent comme les mieux placés pour incarner la figure de la victime, et la plupart des films tendent à dessiner leur trajectoire en deux étapes clairement différenciées : d’une part, nous voyons la femme dans une situation initiale, présentée comme celle d’avant la catastrophe qui va se développer tout au long du film. Elle est au départ saisie dans une situation en quelque sorte ‘«’ ‘ neutre ’», où son existence ordinaire ne semble troublée par rien. D’autre part, dans un deuxième temps, elle est plongée dans une série d’épreuves dont l’enchaînement dramatique est le moteur de l’ensemble du film. Ce personnage connaît ainsi une forme de changement dans son statut à l’intérieur du système des personnages. Ce processus de modification de la situation du personnage féminin a été décrit par Fernando Fuentes Solorzano et Laura Rustrian Ramírez à propos de Santa :
‘El modelo cinematográfico de Santa puede dividirse en dos tiempos, en dos momentos vitales: antes y después de la ‘caída’.Une trajectoire du personnage féminin se dessine clairement, et le vocabulaire employé par les auteurs pour la caractériser est révélateur. Ceux-ci situent leurs analyses dans la perspective d’une interprétation judéo-chrétienne légitimée par les déclarations de Federico Gamboa, l’auteur du roman dont a été adapté le film. Les catégories servant à désigner les différentes étapes de l’existence du personnage sont directement liées à cette perspective, puisque nous y trouvons le ‘«’ ‘ paradis ’», la ‘«’ ‘ chute ’» et même le ‘«’ ‘ purgatoire ’». Ainsi, le destin du personnage féminin suit de près celui d’une figure emblématique de la représentation de la femme dans le catholicisme : Ève, la tentatrice, celle par laquelle la ‘«’ ‘ chute ’» du genre humain a été précipitée à partir du péché originel dont elle est responsable et qui chasse l’homme du ‘«’ ‘ paradis ’». Il s’agit d’un point très important, puisque la caractérisation des personnages féminins et de leur expérience est la plupart du temps rattachée à des catégories d’origine religieuse, permettant de replacer la destinée du personnage dans une ligne morale forte. À partir de celle-ci, le spectateur est amené à s’identifier aux personnages, ou au contraire à en rejeter les modèles. Cependant, il ne faut pas négliger la dimension spectaculaire de ces personnages féminins, qui mettent leur corps en avant dans les films. La caution morale apportée par le caractère édifiant de ces destinées ne saurait faire oublier que, dans le cas des films de cabaret, l’essentiel se passe… dans le cabaret.
Léon Metayer, « La Leçon de l’héroïne », Europe, n°703-704, p. 42.
Fernando Fuentes Solorzano et Laura Rustrian Ramírez, op. cit., p. 124-125.