Deux éléments sont particulièrement mis en œuvre : l’image de la femme, et les références à la musique et à la danse. Dans la plupart des cas, ces images féminines sont le support de l’entreprise de séduction des affiches, comme c’était déjà le cas pour les titres : ces femmes s’offrent à la contemplation du spectateur bien avant qu’il ne pénètre dans la salle de cinéma, dans des tenues dévoilant largement leur anatomie. En ce sens, les affiches sont autant d’effets d’annonce sur le spectacle auquel on pourra assister dans la salle obscure, d’autant que les personnages féminins se présentent majoritairement en ‘«’ ‘ Tenue de cabaret ’», ce qui introduit à la fois l’esthétique et la thématique du film. La représentation des ‘«’ ‘ personnages féminins ’» est à mi-chemin entre deux catégories, thématique et esthétique. Nous avons choisi de l’inclure dans la première, car dans la logique générique des films, la présence d’une danseuse de rumba dans l’affiche annonce une progression dramatique particulière, que la référence tropicale ou la musique et la danse ne suffiraient pas à suggérer.
L’élément musical, qui fait partie intégrante de la séduction exercée par les films, est également très présent. Il se traduit de deux façons principales sur l’affiche du film : soit en représentant le personnage féminin dans une tenue spécifique indiquant son statut de danseuse, comme c’est le cas par exemple dans La Mesera del café del puerto, où une jeune femme en justaucorps emplumé occupe la moitié de la surface de l’affiche ; soit en combinant une allusion à la danse avec l’illustration de la dimension musicale du film. C’est ce qui se passe pour Coqueta, où l’on voit, outre Ninón Sevilla dans son costume de scène, Agustín Lara derrière son piano. De même, dans l’affiche d’Aventurera, une portée avec des notes de musique s’enroule autour du personnage féminin dont la robe rouge et brillante, découvrant généreusement sa jambe, est sans ambiguïté quant à son activité professionnelle.
Le tableau élaboré permet de dégager les traits présents dans les différentes affiches qui permettent de les rapprocher. Elles engagent une certaine image de la femme, et insistent sur le contenu musical des œuvres : le spectateur qui se trouve face à de telles affiches sait, grâce à ces éléments, qu’il s’agit d’un film de cabaret. Par ailleurs, dans bien des cas, le texte contenu dans ces affiches se réduit au minimum. Quelques éléments sont particulièrement mis en valeur, notamment le titre, souvent présenté à travers des caractères spécifiques, et mis en relief à la fois par la couleur employée et son positionnement sur l’affiche. Le deuxième élément important dans le texte est la présence de comédiens de renom, dont on suppose qu’ils peuvent sans doute contribuer à attirer le public dans la salle. Le générique prestigieux d’un film comme Mulata, réunissant Ninón Sevilla et Pedro Armendáriz, met en valeur les noms des deux acteurs à la fois par le texte et par l’image, qui les montre tous les deux à la fois sur le dessin et sur la photo. Il peut s’agir là d’une stratégie promotionnelle invitant le spectateur à aller voir un film mettant en scène des comédiens prestigieux, mais cela peut aussi traduire des enjeux financiers non négligeables, et notamment la volonté des acteurs eux-mêmes d’être mis en valeur de cette façon 462 . À l’inverse, dans un film comme El Derecho de nacer, ne mettant pas en scène de danseuse de rumba mais un conflit familial et racial interprété par des acteurs de moindre renommée, si le titre est bien mis en valeur – il se détache en grosses capitales jaunes sur fond rouge – les noms des comédiens apparaissent de façon plus discrète, avec leurs prénoms en minuscules et leurs noms en capitales fines. Ainsi, le dispositif de l’affiche nous renseigne sur la ‘«’ ‘ cote ’» que peuvent avoir les artistes intervenant dans le film.
Dans certains cas, le texte de l’affiche souligne l’importance de l’élément musical dans le film. C’est le cas dans Hipócrita où, en plus de la mise en valeur du titre et des comédiens, un encart qui barre la partie supérieure gauche de l’affiche proclame ‘«’ ‘ Con el trío Los Panchos ’», c’est-à-dire un groupe de joueurs de boléro mexicain prestigieux. Là encore, les éléments que l’affiche choisit de mettre en valeur montrent ce qui est censé être à l’origine du succès commercial du film.
Outre cette dimension informative, les affiches sont aussi des représentations de la dimension spectaculaire des films, elles en suggèrent souvent le contenu dramatique et narratif. Dans la plupart des cas, le dispositif des affiches est marqué par sa dramatisation, que ce soit sur le plan iconographique, ou dans la relation entre les images et le texte. Cela apparaît clairement dans les cas où une sorte de résumé de l’intrigue accompagne l’image proposée par l’affiche, notamment dans Mulata, Sandra, la mujer de fuego, Coqueta, Aventurera, Víctimas del pecado ou encore La Mesera del café del puerto, que nous avons rangé dans notre tableau dans la catégorie des films comportant un ‘«’ ‘ texte ’». Les visées commerciales et sensationnalistes de ces textes sont évidentes, nous les reproduisons pour faire apparaître ces stratégies.
Pour Sandra, la mujer de fuego, l’affiche n’hésite pas à proclamer : ‘«’ ‘ Una película audaz con el drama de amor más violento que se ha filmado ’» ; dans Coqueta, le texte allie la mise en avant de la musique et de la danse en même temps que celle de l’intrigue amoureuse entre les deux personnages principaux représentés par l’image : ‘«’ ‘ Las más bellas canciones… Los bailes más excitantes ! ’» en-dessous du titre, et ‘«’ ‘ ¿Quién dejó a quién? ’ ‘¿María a Agustín o Agustín a María? ¿Cuál fue el motivo? ’ ‘¿Los celos… otro hombre… otra mujer?… ’», à côté d’une photographie du couple, où Ninón Sevilla regarde directement l’objectif d’un air résolu tandis que son amant l’embrasse ; en outre, l’affiche rapporte les propos du compositeur Agustín Lara : ‘«’ ‘ Ninón Sevilla posee el cuerpo más bello y sensual que jamás he visto y a ella dedico mi última canción ‘Coqueta’ ’» ; la même référence à la musique et au contenu du film se trouve dans Aventurera, car le texte encadré comporte deux parties : tout d’abord, le premier couplet de la chanson ‘«’ ‘ Aventurera ’», puis le commentaire suivant : ‘«’ ‘ Por qué los hombres casados abandonan esposa y hogar, en pos de las caricias y los besos de una aventurera… ’» ; quant à Víctimas del pecado, le film propose ‘«’ ‘ el bajo mundo del vicio y del crimen presentado con honrada valentía ! ’».
Les superlatifs ne manquent pas dans de telles présentations, ni les tournures interrogatives et exclamatives sans nul doute destinées à stimuler la curiosité du spectateur. Les affiches n’hésitent pas à en rajouter par rapport au film : dans le cas d’Aventurera, le texte suggère la mise en scène de l’adultère à travers l’allusion aux ‘«’ ‘ hombres casados ’» quittant le foyer conjugal pour suivre une ‘«’ ‘ aventurera ’». Or, dans le film, une telle situation n’est pas représentée puisqu’Elena séduit un jeune homme célibataire, et non un homme marié comme elle le fera dans son film suivant Sensualidad. Le texte met ainsi volontairement en avant un élément scabreux pour attirer le public, même si cela n’a rien à voir avec le contenu réel du film. Nous attirons ici tout particulièrement l’attention sur l’exemplaire formulation en forme de dénégation du dernier exemple : si Víctimas del pecado propose de montrer une image des bas-fonds de la société, il le fait bien entendu en tout bien tout honneur… Un tel procédé rhétorique dévoile le mode de fonctionnement profond du mélodrame par rapport aux codes qu’il met en scène : d’un côté il proclame son adhésion sans faille aux valeurs dominantes, et en même temps il met en images des personnages plongés dans des situations telles qu’ils sont amenés à vivre précisément le contraire. En ce sens, l’analyse des affiches rentre bien elle aussi stratégiquement au cœur du ‘«’ ‘ double discours ’» du mélodrame.
Enfin, signalons le cas intéressant pour nous de Mulata, dont le commentaire fait de la situation géographique de l’intrigue à Cuba un argument promotionnel d’envergure. L’affiche précise en effet, juste avant de citer le nom du metteur en scène, c’est-à-dire à un endroit important du dispositif, que le film a été tourné dans les ‘«’ ‘ maravillosos escenarios naturales de Cuba ’». Cette affiche matérialise ainsi la vocation touristique et exotique des décors cubains, selon les stratégies commerciales des producteurs mexicains. Elle affirme explicitement ce que d’autres affiches suggèrent, en mettant en valeur une référence à l’atmosphère tropicale, en particulier dans la mise en œuvre de décors où les palmiers sont mis en valeur (María la O, Piel canela…) ou de costumes particuliers.
Outre ces éléments, les affiches permettent d’indiquer certaines thématiques à l’œuvre dans les films. Sur ce point, le tableau permet de constater que la plupart d’entre elles peuvent être reliées à la mise en place d’une histoire d’amour. Cela est suggéré la plupart du temps par l’image d’un couple, soit dans le dessin, soit sur la photographie, soit dans les deux. À cet égard, il est intéressant de prendre en compte l’affiche de Coqueta, car nous disposons de deux versions différentes, l’une avec photo et l’autre sans, ce qui montre que la plupart des affiches des films se déclinaient sous plusieurs versions. Dans le premier cas, le conflit amoureux est mis en place à travers différents éléments de l’affiche qui, en se répondant et en se complétant, configurent la situation des personnages : Lara et Sevilla sont dessinés, et les paroles prêtées au compositeur et citées dans un encart suggèrent la relation entre les deux personnages du film. Par ailleurs, la présence de la photographie introduit un autre personnage masculin, et le regard direct, presque provocateur, que l’actrice adresse à l’objectif, indique une possible rivalité entre les deux histoires.
Dans la version de l’affiche qui ne possède pas de photographie, la relation entre les personnages est suggérée par d’autres moyens, reposant sur le seul dessin. Ninón Sevilla occupe les deux tiers de l’espace de l’affiche, elle est debout sur le piano dans son costume de scène. Elle est représentée dans une gamme chromatique chaude sur un fond bleu, ce qui la met particulièrement en valeur. Au contraire, Agustín Lara est relégué à la partie inférieure de l’affiche, et il est représenté en gris sur un fond neutre. L’expression de ses yeux indique clairement sa cécité, et donc en quelque sorte son drame : l’impossibilité de contempler le spectacle du corps de la danseuse, que seul le petit garçon représenté en tout petit en bas de l’affiche peut lui faire partager en la lui décrivant.
Les affiches tendent à outrer certains éléments du film dans leur façon de les représenter, comme le cas des textes a déjà permis de le montrer. En ce qui concerne Sensualidad ou Mulata, la représentation du costume de Ninón Sevilla sur l’affiche en propose une version bien plus moulante et osée que celle que le film montre vraiment. Cela rejoint la réflexion sur les stratégies de séduction des affiches, qui s’incarnent dans un procédé analysé par Sara Vega et Alicia García :
‘La misión del cartel de cine, como recurso indispensable en la predisposición favorable del espectador hacia el filme exhibido, llevó hasta la exageración aquellos rasgos que consideraban fundamentales para la taquilla. Así los héroes eran más duros de lo que serían en la pantalla, las mujeres más sexies y las escenas de erotismo o violencia – elementos esenciales para la taquilla – quedaban expuestas de manera explícita, muchas veces llegando a la exageración al poner en el cartel lo que nunca ocurriría en la pantalla 463 .’Les affiches des films se constituent comme des invitations à assister à un certain spectacle cinématographique. Des éléments caractéristiques des mélodrames du corpus sont mis en avant, en particulier l’exploitation de l’image de la femme, la référence aux tropiques et à la musique. Toutefois, sur le plan esthétique, elles ne proposent pas de représentation véritablement originale des films, mais les présentent au contraire comme n’importe quel film de cabaret mexicain de l’époque. C’est du moins ce que nous pouvons observer en confrontant les descriptions proposées des éléments les plus significatifs de ces affiches à l’observation d’autres affiches mexicaines de l’époque. Dans ce cas comme dans celui de la mise en place des modèles génériques, c’est bien au Mexique que revient le premier rôle, ce qui pousse à penser que le dispositif de l’affiche est l’un des signes permettant d’identifier un genre. Cela apparaît d’autant plus clairement que les affiches mettent en place par rapport aux normes sociales et morales un système représentationnel à l’image de celui que proposent les films, que nous allons à présent étudier.
Il s’agit d’une pratique très courante dont on peut supposer qu’elle fonctionne également ici, même si nous ne disposons pas d’informations précises pour le confirmer.
Sara Vega et Alicia García, op. cit., p. 7.