I C. Éléments d'appréciation présents dans la presse

Si les informations fournies par la presse sont indirectes, et déjà médiatisées puisqu’il ne s’agit pas de données brutes, nous pouvons malgré tout en tirer certains enseignements. La nature des articles consacrés aux films, ainsi que la façon dont ils sont traités, peuvent être de bons indices pour mesurer la popularité dont ceux-ci jouissent auprès des professionnels du cinéma. L’observation de leurs arguments permet de mettre au jour la part de stratégie dans leurs commentaires, tant du côté cubain que mexicain. À la lecture des articles, il apparaît que les films de notre corpus se situent au cœur d'une bataille commerciale féroce entre les deux pays, ce qui permet de mieux comprendre le contenu des textes qui leur sont consacrés. La presse cinématographique de l’époque permet d’étayer la réflexion engagée par des données de nature contextuelle fort utiles pour mesurer l’importance accordée à ce cinéma.

La première observation qui se dégage de la lecture des revues est la place accordée au cinéma d’autres pays, et en particulier des États-Unis. Cela est très frappant au Mexique dans Cinema Reporter où, chaque semaine, la moitié de la publication environ est consacrée au pays voisin. Cette situation doit être mise en relation avec la position hégémonique des États-Unis en termes de diffusion, phénomène essentiel abordé dans notre première partie. Les ‘«’ ‘ Noticias de Hollywood ’», pour reprendre le titre de la chronique permanente consacrée au voisin du nord, évoquent les productions en cours, et les films ayant remporté le plus grand succès au box office. Ce type d’article est également quantitativement très présent dans la revue cubaine Carteles. Mais, outre cette observation quantitative, la façon dont le cinéma américain est traité relève davantage de la gazette que de l’analyse cinématographique à proprement parler : des interviews de stars du cinéma nord-américain, des nouvelles de leur vie intime, mais aussi des conseils de beauté divulgués par les plus grandes vedettes sont publiés.

Mais le cinéma nord-américain n’est pas le seul à attirer l’attention des chroniqueurs. En effet, à côté de lui figurent en bonne place les grandes industries cinématographiques hispanophones, l’espagnole en particulier. Ainsi, dans la revue cubaine Cine-Guía, de nombreux articles de fond lui sont consacrés, proposant des analyses de l’industrie cinématographique espagnole fondées sur son évolution chronologique, mais faisant également une large place à des critères d’évaluation esthétique. En outre, de nombreux articles abordent d’autres cinémas nationaux latino-américains et même européens. La Colombie est très souvent évoquée dans Cinema Reporter, ainsi que Cuba, ce qui est remarquable car la petite île caribéenne ne possède pas une industrie cinématographique puissante. Il conviendra d’observer attentivement les centres d’intérêt que les Mexicains trouvent à Cuba.

Le grand sujet de préoccupation de ces revues reste bien entendu le cinéma national, qui figure lui aussi en bonne place. Dans ce domaine, les articles proposés peuvent être répartis en trois catégories principales. Tout d’abord, des articles se penchent concrètement sur des films particuliers. Cela recouvre les articles de critique, mais aussi ceux qui rendent compte de la sortie des films ou qui annoncent le début d’un tournage.

La deuxième catégorie est celle des réflexions plus ou moins poussées sur l’état de l’industrie cinématographique nationale. Dans la plupart des cas, ces textes sont écrits afin de répondre à la crise que le cinéma est censé traverser : par exemple les articles ‘«’ ‘ Lo que le falta y lo que le sobra al cine mexicano’ 489  », ‘«’ ‘ La ‘tipología’ monotoniza al cine nacional’ 490  » dans Cinema Reporter. La revue publie même un article de Ramón Peón, cinéaste cubain proposant un bilan peu flatteur de l’industrie cinématographique dans son pays : ‘«’ ‘ Que mal se reinicia la industria cubana’ 491  ». Autant d’articles attestant une authentique préoccupation pour l’amélioration des pratiques cinématographiques. En ce qui concerne Cine-Guía une ‘«’ ‘ Breve historia del cine cubano’ 492  » figure dans son numéro de juillet 1955, ainsi que»‘ Panorámica sobre un año de cine en Cuba’ 493  ». Comme le suggère son titre, l’article propose de brosser un ‘«’ ‘ panorama ’», c’est-à-dire un bilan d’une année de cinéma dans l’île, afin d’en dégager les succès mais aussi les carences et limitations de tous ordres.

La dernière catégorie d’articles est constituée des textes que l’on peut qualifier d’anecdotiques ou de publicitaires, se focalisant davantage sur les personnalités des vedettes et les péripéties rencontrées lors de tournages. Dans ce cas, les tentatives d’appréciation critiques présentes dans les deux autres catégories disparaissent au profit de récits et de commentaires pour le moins superficiels, destinés sans aucun doute à assurer la promotion des vedettes du cinéma local auprès du public. Les articles qui prennent en compte en les jugeant positivement les films de notre corpus ou leurs vedettes se situent majoritairement dans cette troisième catégorie : cela montre le peu d’intérêt qui leur était accordé, ces productions n’étant envisagées que selon un traitement commercial et publicitaire dans la plupart des cas. Cette tendance doit être mise en relation avec la nature des revues qui se développent dans le domaine cinématographique au cours des années 1950. Analysant l’émergence et l’évolution de la critique de cinéma au Mexique, Veronica Camacho indique que les revues apparues au cours des années 1940 et 1950 sont :

‘[…] pratiquement toutes consacrées au vedettariat, au star-système, et caractérisées par l’absence d’un point de sur critique sur le cinéma mexicain. En effet, pendant ce temps, les revues de cinéma étaient en réalité l’instrument de propagande directe des producteurs ou distributeurs. En conséquence tous les films y sont ‘formidables’ et les adjectifs manquent pour en faire l’éloge, on apprend des anecdotes – réelles ou inventées – sur la vie des acteurs pour préparer la publicité qui favorisera les productions prochaines où une ‘star’ apparaît 494 .’

Il convient de nuancer une telle analyse : les revues de l’époque proposent en effet bien souvent un traitement anecdotique et promotionnel du phénomène cinématographique, mais on observe qu’une autre forme de traitement de ces sujets se fait jour : en marge des articles les plus commerciaux, nombre de textes s’attachent à prendre en compte les problèmes rencontrés par l’industrie cinématographique, à tenter de les comprendre et de les résoudre. La dichotomie existant entre ces deux modes d’approche du cinéma dans les revues est en soi intéressante : selon le type d’articles dans lesquels les films étudiés sont envisagés, on peut mesurer si l’intérêt qui leur est accordé est réel, ou répond au contraire à des stratégies purement commerciales, visant à les encenser dans un but publicitaire.

L’observation des revues spécialisées permet de montrer que les films du corpus forment un groupe homogène en ce qui concerne leur qualité. Le traitement dont ils sont l’objet de la part de la critique permet de formuler un telle interprétation : c’est dans la place qui leur est accordée par rapport au reste de la production nationale et internationale, mais aussi dans la façon dont ils sont envisagés, que nous voyons comment ces films sont dans l’ensemble considérés comme quantité négligeable par ceux qui s’intéressent au cinéma, tant au Mexique qu’à Cuba.

Notes
489.

Alvaro Custodio, « Lo que le falta y lo que le sobra al cine mexicano », Cinema Reporter, 10 novembre 1944, n°330, p. 12-13. Cet article est d’ailleurs écrit par un cubain, ancien membre de l’ARTYC (Asociación de Redactores Teatrales Y Cinematorgáficos).

490.

Miguel Ángel Mendoza, « La ‘tipología’ monotoniza al cine nacional », Cinema Reporter, 11 juin 1949, n°569, p. 12-15.

491.

Ramón Peón, « Que mal se reinicia la industria cubana », Cinema Reporter, 5 mai 1945, p. 5.

492.

Manuel Fernández, « Breve historia del cine cubano », Cine-Guía, La Havane, juillet 1954, n°5, p. 8-11 et 19.

493.

Manuel Fernández, « Panorámica sobre un año de cine en Cuba », Cine-Guía, janvier-février 1956, n°10-11, p. 2-3 et 44.

494.

Veronica Camacho, La Critique de cinéma mexicaine, Paris, université de la Sorbonne Nouvelle-Paris III, mémoire dirigé par R. Odin, 1995, p. 47.