En abordant les différents articles rendant compte dans les revues spécialisées des films du corpus, nous avons montré que certains d’entre eux se situent dans une perspective historique, consistant à évaluer l’état de la production nationale, afin de trouver des solutions pour l’améliorer, tant sur le plan quantitatif que qualitatif. L’industrie cinématographique étant moins développée à Cuba qu’au Mexique, c’est dans l’île caribéenne que de tels problèmes se posent avec le plus d’acuité. Ces réflexions sont largement relayées par la revue Cine-Guía : dans ses colonnes, des journalistes, critiques et professionnels du cinéma cherchent à comprendre pourquoi le cinéma cubain ne parvient pas à atteindre un niveau de développement satisfaisant. Cette situation ne laisse pas de surprendre ceux qui s’intéressent à la question, étant donnée la précocité avec laquelle le cinématographe est apparu dans l’île, comme le suggère l’article ‘«’ ‘ El Desarrollo del cine cubano en los últimos diez años ’» :
‘Resulta incomprensible que habiéndose realizado en Cuba el primer intento fílmico en 1897, a menos de dos años de la primera función cinematográfica mundial, efectuada en Francia por los hermanos Lumière, aún no se haya consolidado una verdadera industria en nuestro país.’À cette interrogation suscitée par la réalité chronologique, l’article ajoute une autre source d’étonnement, liée à la relative vigueur du cinéma cubain en ce qui concerne le nombre de ses productions :
‘La incomprensión es mayor si se tiene en cuenta el promedio relativamente elevado de films realizados en Cuba al año. Contando con la co-producción cubano-mexicana, dicho promedio oscila entre tres películas y cuatro anuales. Y se eleva a la cifra de siete en la década de 1950 a 1960. Posiblemente el período más interesante en la cinematografía cubana.’Ces remarques posent d’emblée l’existence des coproductions mexicano-cubaines comme un élément essentiel dans le développement du cinéma cubain sur le plan quantitatif. En effet, lorsqu’il cherche à prouver que le nombre de films produits à Cuba chaque année est relativement important, le commentateur associe immédiatement à la production strictement cubaine les coproductions, ce qui montre qu’elles jouent un rôle considérable dans la production de cinéma à Cuba. Ce soutien apporté par le Mexique à Cuba à travers les coproductions se situe sur le plan technique et artistique, comme le montre l’exemple du tournage de La Rosa blanca, auquel il est fait allusion un peu plus loin. Après avoir rappelé la création par l’État cubain d’un organisme de production spécialement mis en place pour mener à bien ce projet dans le cadre des commémorations du centenaire de la naissance de José Martí, le commentateur précise les raisons pour lesquelles il a été fait appel à des Mexicains :
‘Para su rodaje se contrataron a los realizadores de habla española que gozaban a la sazón de mayor prestigio internacional: Emilio Fernández (El Indio), Gabriel Figueroa y los guionistas Mauricio Magdaleno e Iñigo de Martino […]. El director, que era respetado como algo superior pese a su evidente decadencia, impuso a uno de sus actores favoritos, Roberto Cañedo, en el rol de Martí.’L’intérêt manifesté par les Cubains envers les coproductions avec le Mexique est lié à la fois aux conditions matérielles limitées dans lesquelles le cinéma doit se développer dans l’île, mais aussi à des raisons techniques et artistiques. La façon dont Manuel Fernández brosse un panorama historique du cinéma cubain dans Cine-Guía va d’ailleurs clairement dans ce sens. Le ton de son article, intitulé « Breve historia del cine cubano », se veut enthousiaste : s’il prend en considération les limites que connaît le développement du cinéma cubain, il s’attache néanmoins à en souligner les avantages, comme l’attestent les remarques avec lesquelles il conclut son historique du cinéma muet dans l’île :
‘Las películas de la época silente no fueron mejores ni peores que muchas producciones de industrias mayores. Si no trascendieron los límites nacionales fue debido a que el sabor local las circunscribía al púbico cubano. No existían, además, los aparatos distributivos de hoy en día y los mercados de habla hispana estaban copados por el film norteamericano.’Les arguments avancés pour expliquer la faiblesse relative du cinéma cubain tiennent d’une part aux infrastructures existantes, mais aussi à des éléments plus directement liés au contenu même des films, dont le caractère par trop ‘«’ ‘ local ’» est considéré comme un frein à la diffusion des productions cubaines. Ainsi, abordant le cinéma parlant, il se tourne naturellement vers le Mexique. Celui-ci doit permettre à Cuba de dépasser cette situation, sur le double plan des infrastructures et de la qualité artistique et technique des films, améliorées par le nouveau système de production :
‘Pero el futuro del cine cubano parece orientarse hacia la co-producción cubano-mexicana […]. El reducido mercado interior, la escasez de recursos y de personal técnico y sobre todo la falta de directores y guionistas experimentados, recomiendan esta asociación con la industria de un país cercano al nuestro, geográfica y espiritualmente, que ya marcha con paso firme en el terreno de la cinematografía. A la veta de artistas y técnicos mejicanos, los cubanos pueden aprender mucho para lanzarse más tarde a la constitución de una industria propia, que tendrá éxito sólo a condición de que contemple otros públicos de habla hispana, ya que en los límites de sus playas, como lo demuestra su desarrollo histórico, el cine cubano no dejará de ser nunca una industria eternamente balbuciente.’Les coproductions avec le Mexique doivent permettre au cinéma cubain de sortir de l’ornière dans laquelle il se trouve, tant du point de vue de sa diffusion que de celui de sa qualité technique. Cet argument n’est pas formulé seulement par Manuel Fernández dans les colonnes de Cine-Guía, même si cette revue, qui entend adopter par rapport à l’activité cinématographique un point de vue critique, est naturellement le lieu où de telles réflexions trouvent leur place. Dans Carteles, abordant d’ordinaire les problèmes liés au cinéma de la façon la plus superficielle – pour ne pas dire que, dans la plupart des cas, elle ne pose même pas les ‘«’ ‘ problèmes ’» liés à la production cinématographique, se cantonnant à ce qui touche au monde de la ‘«’ ‘ farándula ’», selon la perspective promotionnelle déjà rencontrée dans l’étude des revues mexicaines – une intéressante enquête s’étend de novembre 1952 à mars 1953. Les journalistes y interrogent diverses personnalités du monde du cinéma, en leur posant la question : ‘«’ ‘ ¿Qué medidas – artísticas, técnicas, económicas – considera indispensables para que el cine nacional se consolide y progrese, en su doble aspecto de fuente de trabajo y riqueza, y de manifestación de arte y cultura? ’» Il s’agit de proposer des solutions efficaces pour le développement du cinéma cubain, comme cela est rappelé dans le premier numéro publiant cette enquête :
‘Considerando que el momento es crucial para el cine cubano – su real consolidación , su progreso, puestos en juego por el interés gubernamental en propiciarlo, la producción y la inversión nacionales realizadas, la cooperación de otras industrias fílmicas, como la mexicana – iniciamos una encuesta […] con el propósito de contribuir al esclarecimiento de los varios aspectos en que se plantea el problema de dar base firme a esta industria-arte 511 .’Il existe une réelle convergence de vues entre les réflexions proposées dans Cine-Guía et celles développées ici. L’existence de coproductions avec le Mexique – le seul pays cité – est d’emblée posée comme l’un des éléments contribuant à l’affermissement de l’activité cinématographique cubaine.
D’une manière générale, l’importation de talents étrangers est préconisée par la plupart des sondés, qui y voient une opportunité de développement avant tout technique et artistique pour le cinéma cubain. Il s’agit d’une solution largement mise en avant, et le Mexique est cité à plusieurs reprises par les personnes amenées à s’exprimer sur le sujet.
Ainsi, dans la perspective cubaine, le recours aux coproductions n’est pas envisagé comme une fin en soi mais comme un moyen de faire progresser le cinéma national. À partir de là, des divergences de taille vont se faire jour : alors que les Mexicains s’intéressent à Cuba avant tout pour assurer la promotion de leurs propres films dans le pays voisin, le point de vue des Cubains sur cette question est sensiblement différent. S’ils ne rejettent pas le système des coproductions, dont ils pensent tirer des avantages non négligeables, ils le considèrent comme une étape nécessaire mais somme toute transitoire dans le développement d’un cinéma national authentique. C’est pourquoi, au fur et à mesure que les coproductions se développent, donnant les résultats techniques et artistiques que l’on sait, la façon dont les Cubains les perçoivent se modifie sensiblement.
Arturo Ramírez, « De la farándula », Carteles, La Havane, 9 novembre 1952, année 33, n°45, p. 22.