Chapitre 3. Les films étudiés : un révélateur historiographique

Le précédent chapitre a permis de montrer comment la perception des films se modifie au cours des années 1950 et 1960, évoluant vers une radicalisation de la critique envers les films étudiés. Ceux-ci sont dénoncés pour deux raisons principales, l’une tenant aux conditions dans lesquelles se trouve l’industrie cinématographique à Cuba et au Mexique, l’autre se fondant sur des arguments formulés dans une perspective culturelle au sens large. Dans le premier cas, les films sont accusés d’alimenter une production routinière, entrant progressivement en crise. Dans le second, les critiques s’attachent à souligner que ces productions proposent une image mensongère de la réalité nationale. Selon le pays envisagé, l’un ou l’autre de ces points de vue remporte davantage d’écho, ce qui contribue à expliquer pourquoi les films ne jouissent pas du même traitement sous la plume des critiques, mais également au sein de l’historiographie nationale du cinéma. Ainsi, après avoir présenté l’émergence et le contenu des arguments en présence, il convient à présent de montrer comment la façon dont les films sont évalués constitue un bon indicateur de la façon dont les historiens du cinéma considèrent leur production nationale.

Paranaguá synthétise les bouleversements qu’ont connus à la fois la critique et la pratique du cinéma :

‘La quinzaine d’années qui va de la fin de la seconde guerre mondiale à 1959 représente une période d’accumulation et de lente modification des mentalités, une mutation de l’attitude et du regard face au cinéma […], l’âge d’or des studios de Buenos Aires, comme ceux de Mexico, est derrière eux, une réorientation ou un nouveau modèle s’imposent 576 .’

La modification dans la façon de traiter le cinéma qui se fait jour progressivement dans les années 1959 pour culminer dans la décennie suivante n’implique pas une prise en charge équivalente des films selon le pays envisagé. Relier les évolutions de l’historiographie du cinéma au contexte de production existant dans chaque pays apparaît utile afin de comprendre les raisons pour lesquelles un même corpus de films peut être traité de façon contrastée, en fonction du pays d’origine des critiques et historiens qui l’abordent.

Si les films bénéficient d’un traitement relativement favorable au Mexique, tel n’est pas le cas à Cuba. Le fait que l’industrie cinématographique mexicaine soit considérée comme ‘«’ ‘ en crise ’» à partir des années 1960 contribue sans aucun doute à considérer sous un jour positif les films assimilés à la période de ‘«’ ‘ l’âge d’or ’» du cinéma national. À Cuba au contraire, le cinéma national le plus prestigieux étant produit après 1959, selon des présupposés esthétiques et idéologiques marqués, les mêmes films ne peuvent être que dénoncés comme représentant une époque révolue de l’histoire cubaine, tant sur le plan cinématographique que culturel ou politique au sens large.

Notes
576.

Paulo Antonio Paranaguá, Le Miroir éclaté, p. 16.