Au Mexique, après un ‘«’ ‘ âge d’or ’» du cinéma mexicain s’étendant du début des années 1940 au milieu des années 1950 environ, on assiste à un déclin de la puissante industrie cinématographique mexicaine à partir des années 1960. Selon Eduardo de la Vega, cette crise endémique de l’industrie cinématographique mexicaine est liée à trois facteurs principaux : la concurrence de la télévision de plus en plus forte au cours de la période ; la concentration des moyens de production entre les mains d’un nombre très restreint de producteurs et réalisateurs ; enfin, conséquence directe de cette situation, la qualité médiocre des films produits 577 . De son côté, García Riera indique le poids du contenu des films dans la détérioration générale de l’état du cinéma mexicain : ‘«’ ‘ A fines de los años cincuenta, la crisis del cine mexicano no era sólo advertible para quienes conocían sus problemas económicos: la delataba el tono mismo de un cine cansado, rutinario y vulgar, carente de inventiva e imaginación’ 578 . » Cette situation lui permet d’opposer le cinéma mexicain à celui d’autres pays qui se sont lancés dans la voie d’une profonde rénovation esthétique.
Dans la description de cette crise par l’historien du cinéma mexicain, outre ses conditions générales d’apparition, un élément retient particulièrement notre attention : il cite la disparition du marché cubain comme l’un des facteurs déterminants – avec la disparition de vedettes comme Pedro Infante, ou la fermeture de nombreux studios – du déclin du cinéma mexicain au début des années 1960 579 . Le ‘«’ ‘ filtre ’» imposé par les Cubains dans le domaine de la production et de la distribution de films sur le territoire national apparaît comme l’un des éléments déclencheurs de la grave traversée du désert du cinéma mexicain. Cette situation confirme l’importance du marché cubain pour les exportations mexicaines de cinéma, et justifie la production d’un certain nombre de films en adéquation avec la demande de ce marché. Dans un mémoire consacré à l’industrie du cinéma mexicain, Felipe Mier Miranda souligne le rôle clé joué par la disparition du marché cubain pour les Mexicains, à cause d’un revirement brutal de la politique cubaine en matière d’importations, mais aussi des difficultés économiques que connaît le pays :
‘Cuba representaba el 10% de los ingresos de Latino América. Su moneda era sólida y el mercado era bueno, con mejores perspectivas […]. En los primeros meses depués de que Batista abandonó el poder a Castro, las entradas subieron notoriamente; sin embrago, pronto se vio el país en serias dificultades económicas, por lo que se suspendieron las remesas a México […]. Por este motivo, en febrero de 1960 se suspendió todo envío a Cuba […]. Esto se debe principalmente a que aquel país sólo importa películas de propaganda […] 580 .’La raison invoquée pour expliquer la rupture des relations commerciales entre Cuba et le Mexique dans le domaine cinématographique est liée à des raisons économiques – le fait que Cuba cesse de payer aux Mexicains l’envoi de films prive l’île caribéenne de son statut privilégié dans le système de production et de distribution mis en place par le Mexique – mais aussi idéologiques. L’auteur fait allusion à l’importation par les Cubains de films de ‘«’ ‘ propagande ’» : la référence au changement politique dans le pays voisin est évidente, et explique pourquoi les films mexicains autrefois populaires n’ont désormais plus accès à ce marché.
Cette situation contribue à expliquer pourquoi les chercheurs mexicains ont été plus enclins que leurs homologues cubains à s’intéresser à leur ‘«’ ‘ vieux ’» cinéma : d’une part, les enjeux idéologiques ne sont pas les mêmes, et d’autre part, le cinéma considéré comme de bonne qualité ne couvre pas la même période selon le pays envisagé. Paulo Antonio Paranaguá décrit, à propos du développement de nouvelles formes d’expression cinématographique en Amérique latine au cours des années 1960, comment le Mexique semble s’être tenu à l’écart des innovations qui touchaient d’autres pays du continent :
‘Contrairement à l’Argentine, le Brésil ou Cuba, le cinéma mexicain ne connaîtra pas de renouveau durable pendant les années soixante […]. Peut-être est-ce encore à cause des pesanteurs de l’industrie : lorsque l’influence néoréaliste se fait sensible, vers le milieu des années cinquante, en Argentine et au Brésil, l’organisation industrielle de la production est pratiquement liquidée. Au Mexique, en revanche, la structure traditionnelle tournait à plein, même si la sclérose a été fatale, après vingt ans de politique de portes fermées pratiquée depuis 1946 581 .’Paranaguá suggère que le caractère industriel de la production cinématographique mexicaine a sans doute constitué un frein à l’éclosion de nouvelles pratiques, et surtout à l’avènement d’une esthétique nouvelle sur les écrans. Cet argument souligne la différence existant sur ce plan entre le Mexique et Cuba : là où l’activité cinématographique est puissamment structurée dans le premier cas, la situation est bien plus précaire dans le deuxième. Ainsi, les conditions mêmes de développement du cinéma en tant qu’industrie dans les deux pays permettent de comprendre le degré de pénétration de nouvelles influences. Le cinéma mexicain semble en quelque sorte, à la fin des années 1950, verrouillé par l’emprise des genres, tandis que le cinéma cubain, pour lequel tout est pratiquement à inventer, saura se montrer bien plus perméable à de nouvelles pratiques.
Dans ce contexte, l’originalité qui se fait jour au Mexique tient donc moins à son cinéma lui-même qu’à la façon dont celui-ci est traité par les critiques et chercheurs qui se penchent sur la production nationale, comme le souligne Paranaguá 582 .
Nous pouvons ainsi comparer la façon dont Cubains et Mexicains considèrent les films étudiés. Si du côté cubain l’enthousiasme se situe plus volontiers dans un cinéma considéré comme novateur sur le plan formel, et au contenu en adéquation avec les nouvelles exigences qui prédominent depuis la révolution – notamment sur le plan social – ce cinéma ne s’impose pas dans les mêmes proportions au Mexique. De nombreux historiens du cinéma mexicain présentent d’ailleurs la fin des années 1950 et le début des années 1960 comme une période de crise pour un cinéma national incapable de se renouveler, en particulier sur le plan générique.
Voir le paragraphe intitulé « Le spectre de la crise (1955-1964) : Eduardo de la Vega, « Origines, développement et crise du cinéma parlant », Le Cinéma mexicain, p. 111-115.
Emilio García Riera, Breve historia del cine mexicano, p. 210.
« La revolución cubana de 1958 [sic] significaría la pérdida para el cine nacional de uno de sus ‘mercados naturales’ más importantes. », Ibid.
Felipe Mier Miranda, La industria cinematográfica mexicana, Mexico, UNAM, Tesis, 1963, p. 64.
Paulo Antonio Paranaguá, Le Cinéma mexicain, p. 19.
« Le groupe Nuevo Cine aura au moins réussi à imposer une approche différente du phénomène filmique, à défaut de transformer la création elle-même dans les proportions souhaitées. » Ibid., p. 21-22.