III. Regain d'intérêt pour le mélodrame: progrès et limites

III A. Dépassement des clivages historiques et idéologiques dans la recherche

L’ouvrage intitulé Historia de un gran amor. Relaciones cinematográficas entre Cuba y México, 1896-1996 n’a pas été publié, mais ses auteurs nous en ont confié une copie imprimée. Nous ne saurions extrapoler sur ces difficultés à mener le projet à son terme, en particulier en ce qui concerne sa diffusion, mais il apparaît toutefois que l’absence de débouché éditorial pour ce travail atteste que l’enthousiasme des chercheurs ne suffit pas à faire partager à un large public les résultats de leurs travaux. Pourtant, ceux-ci ont le mérite d’apporter un éclairage nouveau sur les coproductions mexicano-cubaines, tant du point de vue cubain que mexicain. Les personnalités intégrant ce groupe ainsi que le sujet de leur étude montrent que le terrain des coproductions s’est déplacé de la simple production cinématographique à la prise en charge des films avec un recul critique qui permet non plus de les démonter mais de les comprendre.

Le petit texte qui sert de préambule à ce travail collectif est emblématique de cette démarche. En effet, il rapporte une anecdote dont le contenu annonce la façon dont l’intérêt pour ces films se manifeste dans le public cubain : l’entreprise électrique de Cuba constatait des pics dans la consommation d’électricité par les ménages, en même temps que le ministère de l’éducation déplorait un manque d’assiduité des élèves cubains aux mêmes heures. Renseignements pris, il s’est avéré que les deux phénomènes étaient liés à une cause commune : la projection à la télévision nationale d’un programme intitulé ‘«’ ‘ Cine del Ayer ’», proposant de vieux films argentins, mais surtout mexicains de l’âge d’or. Il fallut donc se résoudre à suspendre ce programme, au moins pendant les heures de classe, afin que les élèves cubains retrouvent le chemin des écoles qu’ils avaient désertées. La permanence d’un intérêt pour ce cinéma parmi un public qui ne l’avait pas connu directement a donc éveillé la curiosité des chercheurs :

‘La sorpresa ante la permanencia del gusto por este cine en buena parte del público cubano, sobre todo en personas que no lo conocieron en su esplendor y que supuestamente no respondían a sus cánones, es lo que nos lleva a investigar las razones de su gran incidencia y la preferencia por él en más de tres generaciones de cubanos 621 .’

Même si ce texte n’est pas signé, ce qui indique qu’il est assumé par l’ensemble des rédacteurs du travail, l’interrogation est née avant tout du côté cubain. Cette situation ne saurait nous étonner, au vu des différentes orientations prises par l’historiographie du cinéma dans les deux pays : si au Mexique le ‘«’ ‘ vieux ’» cinéma était depuis longtemps un objet d’étude digne de ce nom, les Cubains semblent en quelque sorte avoir découvert la séduction que ce cinéma pouvait exercer sur le public, à l’encontre de tout ce qui avait été affirmé à ce sujet pendant des années. Il n’est sans doute pas complètement fortuit que l’anecdote rapportée date des années 1970, et la rédaction de l’ouvrage de la fin des années 1990 : ce décalage semble montrer que du temps a encore été nécessaire entre le moment de la redécouverte de ce phénomène et celui où les chercheurs pouvaient enfin la matérialiser dans leurs travaux.

Comme l’indiquent les bornes chronologiques de l’ouvrage inscrites dans son titre, son ambition est grande, puisqu’il entend rendre compte du phénomène des relations cinématographiques entre Cuba et le Mexique des origines du cinéma dans les deux pays au moment où le travail est entrepris. Au total, le traitement des coproductions mexicano-cubaines dans le cadre du ‘«’ ‘ vieux ’» cinéma occupe une vingtaine de pages, soit la moitié de l’ouvrage. Tous ces éléments ayant été largement abordés dans des chapitres antérieurs de notre travail, nous ne souhaitons pas y revenir en détail. Il s’agit plutôt de montrer comment la structure même de Historia de un gran amor atteste un intérêt réel pour les coproductions mexicano-cubaines de la période classique. Il est souligné que le ‘«’ ‘ vieux ’» cinéma s’est fait progressivement une place dans la programmation nationale postérieure, en particulier à la télévision, à cause de considérations étrangères au contenu des films :

‘En la década del setenta, al incrementarse el bloqueo y disminuir la oferta, todo lo que exhibía la televisión eran viejos materiales. Como opción para llenar espacios se recurrió al cine mexicano, argentino y español, de los cuarenta y cincuenta, y al de los países socialistas 622 .’

Le commentaire proposé par la suite, reprenant l’anecdote initiale sur la consommation d’électricité et la fréquentation des salles de classe, montre que les premiers films jouissaient visiblement d’un plus grand succès auprès du public que les seconds :

‘Hasta 1980, en horas de la tarde se repusieron los viejos filmes mexicanos preferidos por la audiencia, tanto por la falta de nuevas ofertas como por reiteradas solicitudes de los televidentes.
A mediados de la década del ochenta esta programación, suspendida por razones económicas, fue retomada. Actualmente a pesar de que la oferta ha aumentado y se ha diversificado, continúa incluyéndose el viejo cine mexicano que sigue atrapando a un gran sector del público 623 .’

La conclusion de cet intéressant travail dresse une forme de bilan historique qui montre tout le chemin parcouru et la distance prise par rapport aux tentatives de réécriture de l’histoire du cinéma par les instances officielles, en particulier à Cuba : ‘«’ ‘ Es irrefutable que este periodo ha transitado por variados análisis. Desde la aceptación absoluta durante su esplendor al rechazo y al desprecio, hasta llegar, en la actualidad, bajo el prisma de la tolerancia y la razón a une revalorización de su importancia y trascendencia’ ‘ 624 ’ ‘. ’»

Notes
621.

Ibid., p. 2.

622.

Ibid., p. 33.

623.

Ibid., p. 36-37.

624.

Ibid., p. 39.