1.4. Synthèse des définitions

Soulignons deux points évoqués : 1°) la singularité des sens olfactif et gustatif et 2°) l’utilisation régressive de ces sens et en conséquence, le défaut d’apprentissage cognitif des odeurs et des goûts.

1.4.1. Singularités

Le traitement de l’information olfactive doit sa singularité à la relative autonomie du système olfactif vis-à-vis des autres organes de sens et à l’instabilité de la sensation due à la fragilité du signal odorant et au processus de réception lui-même.

Le sens gustatif, lui, est marqué par sa complexité neurophysiologique et, comme le sens olfactif, par la très forte subjectivité imprimée dans le processus de perception.

  • L’autonomie du système olfactif

Les organes sensoriels agissent pour apporter une somme d’informations synchrones et cohérentes : plus ces informations s’ajoutent et concordent, meilleure est l’adaptation du sujet au milieu qui l’environne. L’information olfactive en revanche s’élabore de façon autonome et ne peut pas toujours être validée par le support d’une autre voie sensorielle :

‘« En dehors de l’inspection sensorielle des aliments, qui est une situation privilégiée de coopération entre le goût et l’odorat, le sens olfactif fonctionne dans un relatif isolement » (Holley, 1999, 123) 43 .’
  • Les fluctuations de l’odeur

Un signal odorant peut être altéré par un très grand nombre de paramètres : sa concentration et sa durée de perception, les performances individuelles et les critères culturels. Tous ces paramètres de variabilité laissent présumer que l’odeur est une réalité difforme dont le référent est difficilement partagé :

  • elle est agréable jusqu’à un certain degré de concentration, mais devient gênante voire désagréable au-delà ;
  • sa trop longue durée d’exposition annule sa perception ;
  • un sujet peut être sensible à certaines molécules odorantes et moins à d’autres ;
  • de plus, il ne perçoit pas les odeurs de la même manière selon qu’elles lui sont ou non familières ou inconnues.

Une autre composante psychologique est vérifiée enfin au niveau de la suggestion :

‘« Il est bien connu des chercheurs que, dans les tests de psycho-physique, les sujets humains réalisent un score élevé de faux positifs, c’est-à-dire déclarent percevoir une odeur alors qu’ils ne sont soumis qu’à une stimulation témoin inodore » (Holley, 1999, 124). ’

Ce phénomène d’illusion sensorielle démontre la non fiabilité de l’imagerie olfactive :

‘« en contraste avec la finesse de discrimination, […] les capacités [à discerner une odeur déjà présentée et un leurre] sont médiocres » (Dubois et Rouby, 1997, 10).’

La perception du goût répond aussi à des fluctuations : le goût diffère selon sa concentration et selon des critères individuels et culturels. Et la localisation cérébrale des centres de réception, éparse et en partie méconnue, ne permet pas de fournir une définition univoque du goût.

Coutier écrit :

‘« Les perceptions olfactives et gustatives sont par nature extraordinairement complexes, fugitives et subjectives, et reposent essentiellement sur la mémorisation des odeurs et des saveurs » (1994, 664).’

Autrement dit, odeurs et goûts sont des sensations :

  • complexes, parce que ni le processus chimique mis en jeu ni les contours du stimulus qui déclenche la perception ne sont clairement définis (Chastrette) – tandis que stimuli visuels ou sonores sont mesurables - et parce que l’analyse corticale de ces messages est « inimitable » 44  ;
  • fugitives, du fait des phénomènes d’adaptation et d’accoutumance que l’on ne retrouve que dans une moindre mesure, pour la perception des couleurs ou des sons par exemple ;
  • subjectives parce qu’elles sont inextricablement dépendantes des critères culturels et des sensibilités affectives du sujet qui les juge toujours et d’abord sur l’axe hédonique (agréable / désagréable) (Chastrette, 1995, 93).
Notes
43.

Les raccordements d’informations sont plus fréquents dans les autres domaines sensoriels, comme l’explique Holley : « l’expérience visuelle trouve son complément naturel dans l’expérience tactile »(id.)., mais cet isolement de l’organe olfactif est dû aussi, toujours d’après Holley, à la station debout qui situe l’organe olfactif « loin de la plupart des sources potentielles d’odeurs […] alors que l’animal dispose, avec son flairage puissant, le nez au sol, la tête sans cesse mobile, des comportements efficaces pour faire coïncider les cartes olfactive et visuelle de son territoire » (id., 124). Nous verrons l’influence du canal visuel dans l’évaluation olfactive, relativement influente en ce qui concerne l’alimentaire et plus spécialement la dégustation des vins en verre noir dont nous avons déjà fait mention.

44.

Des instruments de mesure comme le chromatographe utilisé pour l’analyse des arômes en phase gazeuse « ont opéré une véritable révolution dans le monde des chercheurs » (Hachette 1996, 194). D’autres, comme les systèmes de nez électronique, fragiles et moins performants que le nez humain, ne sont guère utilisés (id. 195).