Les effets de l’odeur

Un autre phénomène étudié à propos de la subjectivité est celui du pouvoir des odeurs à faire ressurgir un événement intime du passé 59 . Holley explique cette singularité de la perception olfactive en invoquant le lien qui s’inscrit inconsciemment sans même passer par l’identification de l’odeur,

‘« entre l’immatérialité apparente de la cause [ie. le pouvoir du stimulus présent] et la puissance émotionnelle de l’effet [ie. un souvenir jusque là non conscient] » (1999, 139).’

Il fait le constat, à l’appui de plusieurs résultats d’expériences, qu’il existe bien :

‘une « forme d’association conditionnée entre l’odeur et l’impression affective » (id., 142),’

sans pour autant réussir à montrer pourquoi elle n’a pas de réalisation verbale comme dans le cas des expériences visuelles :

‘« Il faut donc admettre que l’on ne peut pas mémoriser explicitement, consciemment, une odeur qui est pourtant d’une intensité supérieure au seuil de perception » (id., 143).’

Les expériences non verbalisées utiliseraient d’autres voies de stockage. Une odeur qui reparaît fait directement appel à la situation d’origine durant laquelle le sujet avait syncrétiquement associé l’odeur aux perceptions concomitantes (visuelles, auditives, voire tactiles). Le sujet n’évoque pas l’odeur, mais tout ce qui lui est personnellement rattaché. Un tel procédé d’associations dont le caractère est entièrement subjectif reste discuté. Certains, comme Roudnitska (parfumeur), rejettent en bloc ce type d’explication :

‘« On met trop souvent sur le compte de la subjectivité sensorielle ce qui devrait être endossé par l’inattention, l’irréflexion, la négligence, la paresse, la superficialité ou l’ignorance » Roudnitska (1994, 14),’

d’autres, comme Holley (scientifique), n’excluent pas la part de vérité contenue dans ce que le sujet peut exprimer :

‘« Pour identifier les objets flous et changeants comme les odeurs naturelles, les humains utilisent un vocabulaire idiosyncrasique qui fait intervenir des précisions tirées de leur expérience personnelle. Lorsqu’ils utilisent ce vocabulaire plutôt que le terme véridique qu’attend l’expérimentateur, on ne peut dire que les sujets d’expériences échouent véritablement à identifier l’odeur. Quand le stimulus est la naphtaline, l’expression “odeur de l’armoire de ma grand-mère” est-elle une mauvaise réponse ? Ne traduit-elle pas de fait, une réelle identification ? Il est donc sage de voir dans l’identification d’une odeur un processus qui comporte des degrés plutôt qu’un phénomène par tout ou rien » (Holley, 1999, 146).’
Notes
59.

Ce phénomène, baptisé syndrome de Proust par l’équipe des chercheurs de Lyon 1 et Lyon 2, se traduit par « la capacité d’une senteur [lorsqu’elle est présente] à vous restituer l’entier souvenir d’une situation ancienne que vous croyiez oubliée » (rapportés dans Lyon Capitale daté du 28 février 1996).