2.4.2. Les corpus

Parmi tous les travaux présentés, le choix du matériau écrit est prédominant. Or, ce matériau n’a pas toujours, contrairement à ce qui est parfois annoncé par les auteurs, l’efficacité discursive attendue. La tâche écrite est d’abord un acte individuel vu comme un objet d’analyse faiblement interactif :

‘« Subjects worked alone in these experiments and wrote down their responses » (Lehrer, 1983, 70),’

ou même délibérément non-interactif :

‘« Communication between panelists was not allowed » (Gawell, 1997, 270). ’

La communication opère plus activement dans un deuxième temps lors de la lecture des descriptions ou des textes viniques (lorsque, par exemple, les questions utilisent le vous : « Selon vous, qu’est-ce qu’une odeur ? Quels types d’odeurs distinguez-vous ? » etc). Parfois aussi, ont lieu des confrontations différées entre les sujets (échanges oraux à plusieurs). Mais l’écrit ne fournit pas le même « degré d’interactivité » (Kerbrat-Orecchioni, 2000, 4) ni la possibilité d’un contrôle immédiat (feed-back) entre les sujets. Et David (1997) constate elle-même la complexité de la situation où :

‘« l’interlocuteur n’[y] est jamais explicité » (id., 218),’

alors qu’elle tentait au départ de démonter que :

‘« la construction de l’objectivité, au niveau individuel, inclurait non seulement des processus d’adéquation à la représentation perceptive, mais aussi une négociation inter-sujets de partage des expériences subjectives » (id., 212).’

L’attestation des termes employés en dégustation dans un contexte de discours peut faire défaut dans l’analyse. Coutier (1997) a pu par exemple, par des recherches lexicographiques, démontrer le développement tout récent de l’usage et de la codification du lexique œnologique :

‘« les deux tiers des vocables considérés [dans l’analyse] ne sont pas attestés avant les années 50 » (id., 96). ’

Elle a pu distinguer recensement dans les lexiques et les dictionnaires et attestation dans les comptes rendus de dégustation et mettre ainsi en évidence l’existence de néologismes et d’autres emplois récents non recensés. Mais la disparition de certains vocables (23 sur les 70) qui, d’après les résultats de ses recherches, ne sont plus attestés dans les ouvrages de dégustation consultés de 1980 à 1997 n’est pas traitée :

‘« La lexicographie générale […] n’offre qu’un pâle reflet de l’usage et de la vitalité d’un vocabulaire pourtant codifié par les usagers et qui n’est plus l’apanage d’un cercle restreint, laissant dans l’ombre une composante langagière à la fois sensorielle et culturelle de la société contemporaine » (id., 95).’

La sollicitation de quelques experts en dégustation aurait très probablement apporté une meilleure interprétation des résultats 80 .

Le choix du matériau oral est cependant opté par Lehrer qui, pour la dernière partie de son expérimentation, “provoque” quelques conversations :

‘« Subjects sat at a table facing each other, and their task was to agree on a characterization by discussing the wines as they tasted them together. [...] Each pair was able to agree on a characterization on most wines, but there was no consensus. That is, each pair came up with different, often inconsistent, descriptions. Preferences, among other things, influenced the results » (1983, 83).’

Mais :

‘« I have edited the texts to eliminate repetitions and incomplete utterances that do not further the discussion. Overlaps, where one speaker begins before the previous one finishes, are not shown » (id., 107) ;’
Notes
80.

Un sommelier que nous avons consulté a accepté cinq de ces vingt-trois termes proclamés « disparus », les considérant encore en vigueur aujourd’hui.