1. Les outils de l’analyse

1.1. Théories de l’interaction et précisions terminologiques

1.1.1. Le courant interactionniste

L’analyse conversationnelle (ou analyse des interactions verbales) relève d’un courant trans-disciplinaire plus large, le courant interactionniste (Cosnier, 1998), qui recouvre principalement les domaines de la linguistique, de la sociologie et de la psychologie. Sa démarche analytique inspirée de l’ethnométhodologie repose sur la collation de corpus langagiers authentiques, c’est-à-dire de situations de langage réelles qu’elle se charge de décrire afin d’y rechercher :

  • « les relations entre les constituants linguistiques répartis [selon] une organisation hiérarchique » (Maingueneau, 1996) d’unités discursives ;
  • « les relations qui à travers l’interaction s’établissent entre les participants » (id.) et forment un « réseau d’influences mutuelles » (Kerbrat-Orecchioni, 1990).

Elle s’efforce de prendre en considération ce que Cosnier définit comme le totexte, c’est-à-dire :

  • le cotexte constitué par :
‘« l’ensemble des événements interactifs survenant dans la situation » (Cosnier, 1988), ’

autrement dit, le texte (matériau verbal et paraverbal collecté grâce à l’enregistrement de la parole et des effets rendus par la voix : l’intonation, les pauses, les accents…) ainsi que l’ensemble des données non verbales (gestes, mimiques et regards relevés à l’aide d’un enregistrement vidéo satisfaisant),

  • le contexte que constitue :
‘« l’environnement extralinguistique de l’énoncé » (Kerbrat-Orecchioni, 1990, 76),’

comme le lieu, les personnes, leur âge, leur origine sociale et culturelle, les raisons de leur regroupement…

L’interaction conversationnelle fonctionne sur la base d’un certain nombre de règles formelles. Pour André-Larochebouvy (1984), il s’agit d’une règle constitutive qui permet l’alternance des tours de parole et ainsi, la cohésion du texte conversationnel, et des règles stratégiques qui régissent ces tours de parole.

Les règles stratégiques, que Goffman appelle les conditions de félicité (1978), ont pour but de maintenir un équilibre “harmonieux” à l’intérieur du réseau interactif. Elles se manifestent par la production, sous diverses formes, de signaux d’écoute et de signaux d’appel à l’attention durant l’interaction. Ce sont :

  • les régulateurs, produits par l’auditeur qui, sans provoquer l’interruption de celui qui parle, lui indique qu’il écoute, qu’il comprend (ou qu’il ne comprend pas), ou qu’il a l’intention de prendre la parole ;
  • les phatiques, produits par celui qui parle dans le but de s’assurer que l’auditeur est attentif et comprend les messages qui lui sont adressés.

Ces signaux régulateurs et phatiques sont multicanaux, c’est-à-dire :

  • soit verbaux : ah bon / oui / tiens / ça alors… pour les régulateurs etsous forme de questions tu vois’ / tu sais’(ainsi que les appellatifs prénoms, pronoms…) pour les phatiques 81  ;
  • soit vocaux : mm / oui(aspiré)… pour les régulateurs, hein / eh, pour les phatiques ; et, certains changements des paramètres vocaux (intensité, hauteur, timbre) qui peuvent signifier un appel à l’attention ;
  • soit le plus souvent non-verbaux (gestes, regards, mimiques faciales décrites par Cosnier, 1987).

Ces règles constitutives et stratégiques interviennent dans les processus d’inter-synchronisation qui favorisent le fonctionnement de l’interaction. Elles relèvent d’un ensemble plus complexe d’aptitudes du sujet parlant, appelé la compétence communicative (Hymes, 1984).

Notes
81.

Les phénomènes d’écholalie en revanche, c’est-à-dire les formes de reprise en écho de l’intervention précédente, ne seront pas considérés ici comme des régulateurs, ni l’auto-répétition lors d’un même tour comme un phatique, même si ces deux formes peuvent être interprétées pragmatiquement comme des signaux d’écoute ou d’appel à l’attention.