1.3. Les phénomènes d’ellipse et d’élision

La description des goûts et des arômes du vin fonctionne volontiers par la référence à une source gustative ou odorante sur laquelle le sujet focalise son attention sans toujours verbaliser la sensation même. Très souvent il procède par ellipses, comme dans cet énoncé :

‘je je crains d’être dérangé par le bois (Vinorama n°1, 71)’

que l’on peut paraphraser :

‘/je crains d’être dérangé en bouche par la sensation tactile du bois - que provoque l’élevage en fût de chêne si le vin est trop jeune ou mal vinifié/.’

La source référente est exprimée par un substantif qui vient qualifier la sensation et qui est placé en épithète évitant une phrase longue. L’élision du déterminant (ou de la préposition) devant le substantif d’arôme ou de goût 111  raccourcirait ainsi la “distance analogique” et marquerait l’effet immédiat de la présence du référent évoqué :

‘oui premier nez’ pétrole, (Vivier 96 n°2, 35)/le vin, avant toute aération dans le verre, dégage une odeur de pétrole - caractéristique du vin en question/.’

Le substantif qui dénote le goût ou l’odeur peut aussi être attribut :

‘il fait un peu fruit exotique (Vivier 96 n°2, 49)
/le vin rappelle l’arôme de fruit exotique/ ;

il est très fleur blanche hein (JJ & Co n°22, 1051)
/le nez est de la famille des fleurs blanches : acacia, aubépine, chèvrefeuille…/.’

L’absence du déterminant dans la dénomination de l’arôme était déjà relevée dans de précédents corpus :

‘- alors là c’est vrai qu’c’est très fruit rouge
- ces arômes fondus caramel boisé très agréables
- on ressent pas le caractère puissant réglisse
- un vin un p’tit peu sous bois 112 .’

Tout se passe comme si une odeur ou un goût ne pouvaient être plus clairement exprimés que par la référence à la source à laquelle ils sont assimilés (en dégustation de vin) et non comparés. Le style “télégraphique” rendu a pour effet de mettre en avant les mots les plus signifiants du discours.

Le repérage de ces indices linguistiques qui constituent en partie les marques d’une communauté de locuteurs entraînés à la recherche des arômes, des goûts et à la dégustation du vin est un premier aperçu du contenu de cette langue de spécialité.

Nous avons ensuite recensé les termes de qualification olfactive et gustative classés dans un même champ sémantique : le champ de la qualification à l’intérieur duquel se distinguent deux sous-ensembles : le champ hédonique et le champ de la quantification qui seront décrits successivement. Nous analyserons l’ensemble de ces termes qualifiants et nous traiterons séparément le champ des arômes 113 . Enfin, nous procéderons à une étude détaillée des termes qualifiants selon leur nature et leur contexte dans l’interaction.

Notes
111.

Particularités que l’on trouve aussi chez les parfumeurs « qui ont substantivé des adjectifs qu’ils emploient alors comme complément déterminatif et sans la préposition “de” » (Billard, 1991, 51) et chez les dégustateurs d’huile d’olive comme entendu sur France-Culture : en bouche c’est noisette, le 11.9.1999. Ce que ne trouvent pas David, Dubois, Rouby et Schaal : « on observe dans le corpus une seule occurrence de la forme NN :

- je peux classer différents types d’odeurs. D’abord, l’odeur nature c’est-à-dire dehors » (1997, 60, note 16).

112.

Énoncés relevés dans le corpus DEA, 1993.

113.

Les termes qualifiants, autrement appelés “discriminateurs” (Normand, 1999, 73), s’opposent aux termes ayant un rôle catégorisateur (robe, nez, bouche…) et aux termes d’arômes. Selon Normand (id., 223), deux approches descriptives du vocabulaire de dégustation s’appliquent à deux familles de termes servant à décrire le vin : celle des discriminateurs qui relève d’une sémantique dite différentielle (ou structurale) et celle des arômes qui relève d’une sémantique référentielle. C’est une des raisons pour lesquelles nous analysons les termes d’arômes séparément.